L’addiction, qu’elle soit liée à des substances ou à des comportements, est un phénomène complexe qui touche de nombreux aspects de la vie quotidienne. Avec l’avènement des technologies numériques, de nouvelles formes d’addictions ont émergé, notamment celles liées aux jeux vidéo et aux réseaux sociaux.
Guidé par la protection des internautes notamment des enfants, les pouvoirs publics encadrent légalement et contrôlent de manière de plus en plus strictes les mécanismes et stratégies utilisées par les acteurs du secteur pour limiter le développements de comportements addictifs et leurs conséquences sur la population.
Parmi les entreprises touchées, Bytedance (TikTok) et Epic Games (Fortnite) sont particulièrement touchées par des procédures judiciaires et enquêtes parlementaires.
Addiction et droit : Substances & comportements
Présentation. Renvoyant à une condition avant tout médicale, l’addiction se présente comme une dépendance pathologique à une substance ou une activité, caractérisée par une perte de contrôle et une poursuite de l’activité malgré ses conséquences négatives.
Les pratiques addictives se déclinent sous différentes formes visant en premier lieu des substances dites psychoactives avant de se diversifier pour toucher certains comportements.
Addictions comportementales. Ces addictions comportementales ont pu être définies comme« le résultat d’un processus interactionnel entre un individu et un objet externe ou une activité banale, mis à la disposition de tous, qui conduit à une expérience sur laquelle se développe une dépendance principalement psychologique en raison des effets plaisant qu’elle procure et des fonctions qu’elle remplit. Cette dépendance, qui se traduit par la répétition de la conduite, la perte de contrôle, la centration et le besoin, peut entraîner des conséquences négatives pour la personne et son entourage ».
Sur ce fondement, les addictions comportementales les plus connues concernent : les jeux d’argent et de hasard, les achats compulsifs, le sexe, l’activité sportive, le travail, l’alimentation ainsi que les jeux vidéo et les écrans incluant les réseaux sociaux, internet et le téléphone.
Leurs conséquences peuvent impliquer notamment des pertes de contrôle du niveau de consommation/pratique, une modification de l’équilibre émotionnel, des troubles d’ordre médical, des perturbations de la vie personnelle, professionnelle et sociale.
Droit et addiction. L’encadrement légal pour la protection contre l’addiction
Juridiquement, l’addiction est une notion mal définie. En référence à son approche médicale, la majorité des législations s’attachent à une approche casuistique pour identifier les causes de l’addiction et leur encadrement légal.
A ce titre, les substances psychoactives agissant sur le cerveau font l’objet d’une distinction pénale, certaines étant admises et d’autres illicites. L’article L5132-7 présente ces substances illicites comme stupéfiants lisés par arrêté du Ministère de la santé.
Santé publique. En tant que maladie, les pouvoirs publics sont attachés à mettre en place de nombreuses mesures de prévention, restrictions ou répression à l’égard de la vente à l’accès à des services pouvant entrainer des formes d’addictions. Des réglementations peuvent exiger des avertissements sur les risques d’addiction, des limitations sur les fonctionnalités addictives, et des obligations de fournir des outils de gestion du temps d’utilisation.
Justifié par des considérations de santé publique, elle peut se manifester en matière de publicité et promotion avec des restrictions spécifiques concernant certains produits : cigarettes et alcool, médicaments, armes et drogues, jeu d’argent et de hasard, loteries, etc.
Jeux d’argent et addiction : du poker en ligne aux paris esportifs
Les activités de « jeux d’argent et de hasard » font l’objet d’une interdiction depuis le 19ème siècle, sauf dérogations expressions et limitatives, dans une double logique d’assurer la protection des joueurs face aux risques d’addiction et prévenir les activités frauduleuses ou criminelles.Loteries, paris sportifs, hippiques et jeux de casinos bénéficient de stratégies commerciales offensives et une forte capacité d’innovation dans l’univers numérique pour toucher le plus grand public.
Nouvelles offres numériques. Depuis les années 2010, les autorités publiques en charge de leur encadrement, notamment l’Autorité Nationale des Jeux, est confronté à l’apparition de nouvelles offres présentant les caractéristiques de jeux d’argent et de hasard tout en échappant à la règlementation en vigueur : les jeux utilisant des NFT, les paris sur des compétitions esportives (strictement illégal mais promu pour réorienter les utilisateurs vers des offres classiques), les services de jeux dans le metavers, etc.
Rappelé par la Cour des comptes, ces développements, qui peuvent présenter des risques au regard des objectifs de la politique des jeux, appellent de la part de l’État et du régulateur vigilance et réactivité.
Réseaux sociaux, plateformes de contenus en ligne et addiction
L’addiction aux réseaux sociaux se manifeste par une utilisation compulsive des plateformes, souvent au détriment des activités quotidiennes et des relations sociales. Les utilisateurs peuvent éprouver une forte anxiété en cas de déconnexion et une recherche constante de validation à travers les “likes” et les commentaires.
Rapport gouvernementale sur l’addiction aux écrans. Baptisé « Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu », un rapport public commandé par le gouvernement en 2024 rappelle les risques addictifs liés aux écrans notamment les réseaux sociaux touchant particulièrement les mineurs.
Le groupe de travail reconnait que la notion « d’addiction aux écrans » en tant que telle n’est pas encore reconnue par la science, mais les « écrans », et en particulier l’utilisation des réseaux sociaux peuvent apporter des facteurs de risque supplémentaires lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante chez un enfant ou un adolescent, notamment de dépression ou d’anxiété.
Documenté par la communauté médicale et scientifique, plusieurs procédures judiciaires ont débuté dénonçant les actions et processus utilisés par les réseaux sociaux pour développer ces formes d’addictions.
Fonctionnalités addictives. En 2021, le groupe Meta était accusé de promouvoir des fonctionnalités addictives sur son réseau social Instagram, particulièrement nuisibles pour les adolescents. Des documents internes ont révélé que l’entreprise était consciente des effets négatifs sur la santé mentale des jeunes utilisateurs.
Instagram & promotion de l’alcool. Début 2023, l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (« l’ANPAA ») a obtenu, par une procédure d’urgence, la condamnation de META à supprimer des publications d’influenceurs, sur le réseau Instagram.
La plupart des contenus présentant des influenceurs associés à des boissons alcoolisées et marques de bières, vins et spiritueux en violation de la loi Evin et les dispositions des articles L3323-1 et suivant du Code de la Santé Publique.
Tiktok en procès sur fond de mécanismes addictifs
Cinquième réseau social au monde avec 1,5 milliards d’utilisateurs, Tiktok a connu une croissance fulgurante en permettant le partage de vidéos en format court. Gérée par la société chinoise ByteDance, la plateforme connait depuis plusieurs années de nombreux déboires juridiques sur fonds de mécanismes addictifs et violation de données personnelles.
En 2022, TikTok a fait face à plusieurs poursuites aux États-Unis, accusé d’encourager une utilisation excessive et addictive de sa plateforme, entraînant des impacts négatifs sur la santé mentale des utilisateurs, en particulier des jeunes.
Retrouvez notre prochain dossier dédié sur les mécanismes d’addiction dans les algorithmes de Tiktok.
Données personnelles et espionnage. Tiktok fait également l’objet de procédures liées au traitement et à la protection des données personnelles qu’il collecte. Menacée d’interdiction dans plusieurs pays, il lui est reproché d’être utilisé par la Chine, pays d’origine de la société créatrice ByteDance, comme outil d’espionnage.
Plusieurs institutions publiques américaines et européennes ont ainsi interdit le téléchargement et l’utilisation de Tiktok sur les appareils de fonctionnaires. Dans l’Union européenne, ByteDance a fait l’objet d’une enquête de l’autorité irlandaise de protection de la vie privée, qui le soupçonne d’enfreindre la législation européenne sur la protection des données (RGPD) en matière de traitement des données personnelles des enfants et de transferts de données vers la Chine.
En avril 2024, Washington a adopté une loi obligeant ByteDance à vendre TikTok dans un délai de douze mois, faute de quoi l’application utilisée par 170 millions d’Américains serait interdite. Le réseau social a lancé une procédure judiciaire contre cette loi « Anti-Tiktok » considérant que cette loi viole la liberté d’expression de ses utilisateurs.
XP: Retrouvez notre présentation des enjeux liés à l’exploitation des données personnelles par Tiktok : Tiktok : L’application qui en savait trop ou L’espion que l’on aimait ?
Jeux vidéo et addictions : des mécanismes au service de la rentabilité du jeu
Facteurs de l’addiction aux jeux vidéo. L’addiction aux jeux vidéo, aujourd’hui reconnue par l’OMS comme un trouble du jeu vidéo, se caractérise par une utilisation excessive et compulsive des jeux, interférant avec la vie quotidienne et les relations sociales.
Les études liées à l’addiction aux jeux vidéo révèlent une pluralité de critères et facteurs participant à l’apparition d’une addiction. Certes, le statut socio-économique, des facteurs personnels incluant l’âge, le sexe et certains traits de personnalité impactent les mécanismes d’addiction.
Mais, ces dernières années, d’autres facteurs liés aux jeu vidéo eux-mêmes ont pu être révélé notamment ceux mettant en place un anonymat du joueur, une accessibilité du jeu notamment par son faible coût, ses supports de jeux (mobiles, consoles portatives, etc.) ainsi que l’utilisation de dark patterns et pain points destinés à personnaliser et optimiser l’expérience du joueur au sein du jeu.
Microtransactions et neuromarketing. Conscients de ces risques, les studios et éditeurs sont confrontés à la logique économique du secteur favorisant les contenus additions et microtransactions payantes au sein du jeu. Le game design a ainsi évolué afin de mieux comprendre voire manipuler les comportement et la personnalité des joueurs dans une stratégie de rétention.
Cela s’est manifesté ces dernières années lorsque le marché des titres AAA ont progressivement inclus les achats in game sous forme de contenus additionnels, bonus d’expériences, loot boxes, compétitions de jeu vidéo avec dotation, etc. Renforcé par la collecte massive de données d’utilisation du jeu, de données personnelles de joueurs et l’intégration d’outils d’intelligence artificielle, la personnalisation de l’expérience des joueurs constamment adapté à ses besoins semble conforter les risques d’addictions comportementales.
Enjeux juridiques & responsabilité des jeux vidéo
La capacité d’un jeu vidéo de générer des formes d’addictions pour ses utilisateurs emporte de nombreuses conséquences juridiques pour les studios de jeu vidéo. En premier lieu, l’ensemble des dispositions liées à la publicité et promotion du jeu devrait être révisé au même titre dans certains cas que l’accès même au jeu pouvant être interdit par exemple aux enfants mineurs.
Les informations sur les contenus du jeu et leur prévention auprès du public rapprocherait les éditeurs de jeu vidéo des acteurs des jeux de hasard et casino, particulièrement préjudiciables pour ces derniers.
A fortiori, de telles négligences et manquements seraient susceptibles d’engager la responsabilité civile et pénale des studios selon les comportements et infractions envisagées.
Esport & addiction : la protection des joueurs et esportifs
La pratique croissante de l’esport et son développement économique au cours de la dernière décennie a également eu un impact sur les joueurs en matière d’addiction. Par les différentes stratégies utilisées par les éditeurs de jeu vidéo au sein des jeux pour retenir le joueur, l’addiction ou la cyberdépendance a été identifiée comme l’un des risques associés à la pratique du jeu vidéo visant particulièrement les enfants.
La diversité des activités des esportifs, impliquant également des actions de représentation des clubs, de créations et diffusion de contenus en ligne démultiplient les risques liés à des formes d’addictions aux écrans et réseaux sociaux.
XP : Pour plus d’information sur la protection des joueurs esportifs
L’inquiétude croissante des pouvoirs publics sur la question a poussé de nombreux états à se saisir de ces enjeux, parfois par la voie légale – Régulation des Jeux de hasard et loot boxes (XP) – ou par le biais de poursuites judiciaires. Récemment, l’autorité néerlandaise des consommateurs et des marchés a condamné la société Epic Games pour pratiques commerciales illégales et agressives concernant certains mécanismes présents au sein de sa licence phare « Fortnite » qualifié de pousser les enfants à l’achat de contenus de jeux vidéo.
Retrouvez notre étude dédiée à la société Epic Games et sa récente condamnation.
Epic Games en procès sur l’addiction à « Fortnite »
Procédures juridiques contre Fortnite : Fin 2022, Epic Games avait déjà été poursuivi au Canada par un collectif de parents dénonçant les mécanismes addictifs et de cyberdépendance de Fortnite notamment par l’organisation perpétuel de matchs et les incitations continues à des dépenses « excessives », sans en avoir préalablement informé les utilisateurs ou leurs représentants légaux. Les trois parents et leurs avocats demandent des « dommages moraux et matériels, ainsi que la restitution des prestations », notamment le remboursement de tous les achats de joueurs mineurs.
Un jugement rendu fin décembre a validé le principe du recours tandis qu’Epic Games considérait que l’ensemble du dossier était vide : preuves insuffisantes, absence d’expertise, de dossier médicaux valides ou d’études sur les effets indésirables du jeu vidéo.
En avril 2022, Epic Games avait déjà conclu un accord de 26,5 millions de dollars américains en Caroline du Nord lié aux achats de sa monnaie virtuelle par des mineurs.