L’actualité du droit du numérique est dominé par les développements et mises en place de dispositifs de régulation des plateformes sur internet. Outre les Digital Market Act & Digital Services Act européens prochainement mis en application, le législateur national et plusieurs autorités de régulation ont lancé plusieurs chantiers liés notamment aux fake news, la lutte contre les contenus haineux en ligne, la contrefaçon et le téléchargement illégal et plus récemment la lutte contre les plateformes de contenus pornographiques.
Dans ce contexte, un bras de fer juridique est engagé sur la question difficile des moyens mis en Å“uvre par les sites pornographiques pour garantir l’âge de leurs internautes.
Restriction de l’accès aux contenus pornographiques : Deux ans de procédures
Historiquement, trois associations dénoncent en novembre 2020 l’illégalité des plateformes à la législation française, notamment vis-à-vis des conditions d’accès aux mineurs : l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), épaulée par le Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant (COFRADE, qui compte OPEN dans ses rangs) et l’Union nationale des associations familiales (UNAF).
Le 13 décembre 2021, le président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) met en demeure les cinq sites « de prendre dans un délai de quinze jours, toute mesure de nature à empècher l’accès par des mineurs au contenu incriminé conformément aux dispositions du Code pénal ».
Le 8 mars 2022, l’ARCOM a assigné les principaux fournisseurs d’accès à internet notamment Orange, Free, Bouygues et SFR afin de bloquer en France l’accès aux plus grands sites pornographiques : Pornhub, Xnxx, Xvidéos, Tukif et XHamster.
Pour rappel, l’Arcom, Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, est une autorité administrative indépendante créée en 2022 procédant de la fusion du CSA et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).
Sont reprochés à ces plateformes l’absence de système permettant de bloquer efficacement l’accès aux contenus pornographiques à des mineurs en violation de l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020. Les simples déclarations de majorité actuellement mises en place n’apparaissent pas suffisantes pour respecter les dispositions légales, passibles de sanctions prévues par l’article 227-24 du Code pénal.
Suite à une première audience le 6 septembre 2022, le juge a enjoint les parties le 8 septembre de rencontrer un médiateur.
Retrouvez la décision de justice du Tribunal judiciaire de Paris RG22/55687 du 8 septembre 2022,
Prochaine étape, le tribunal validera la question prioritaire de constitutionnalité le 4 octobre 2022 relative à la constitutionnalité de la législation justifiant du blocage de tels sites internet.
Validation de l’âge : l’enjeu des plateformes d’hébergements de contenus pornographiques
Tenus par une « liberté de moyens » pour garantir leur conformité à la loi, il revient aux plateformes d’imaginer et mettre en place les solutions techniques et numériques, laissées à l’appréciation des autorités compétentes : le disclamer d’âge historique n’apparait plus suffisant depuis la loi du 30 juillet 2020,
La solution de carte bancaire envisagée par certains acteurs du secteur notamment Jacquie et Michel, a également été rejeté par l’Arcom. De fait, ce procédé apparait contournable, non accessible à tous et multipliant les risques d’hameçonnage informatique, de la mème manière que la vérification de documents d’identité.
Des solutions tout aussi originales tel que l’analyse faciale, la vérification dans un bureau de tabac ou via la plateforme FranceConnect, la vérification d’âge par inférence n’apparaissent pas plus fiables ou garantissant la protection de libertés individuelles dont le respect de la vie privée.
Accès aux sites pornographiques : Analyse de la CNIL
Interrogée sur la question, la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) a constaté qu’aucune solution satisfaisante de contrôle de majorité n’a été à ce jour identifié. Cette dernière préconise indirectement le développement d’une corégulation impliquant l’information et sensibilisation des enfants, parents, responsables légaux et encadrants sur les bonnes pratiques, l’usage de logiciels de contrôle parental et plus généralement de solutions basées sur des tiers de confiance.
La CNIL avait par le passé proposer plusieurs pistes de réflexion devant notamment « intégrer un mécanisme de double anonymat empèchant, d’une part, le tiers de confiance d’identifier le site ou l’application à l’origine d’une demande de vérification et, d’autre part, faisant obstacle à la transmission de données identifiantes relatives à l’utilisateur au site ou à l’application proposant des contenus pornographiques. »
La réforme imposée et nécessaire du secteur pornographique
L’industrie pornographique est malmenée ces dernières années par une série de scandales et affaires judiciaires impliquant nombreux de ses principaux acteurs.
Dans le cadre de sa campagne électorale, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé vouloir réguler les sites internet pornographiques, « accusés de pervertir la jeunesse jusque dans les cours d’école », dans un contexte sociétal marqué par les révélations des affaires Weinstein et les mouvements #balancetonporc. Dans ce contexte, de nombreux acteurs s’engagent dans la mise en place de charte éthique du X pour lutter contre les dérives et les violences sexuelles en France.
Courant juin, des représentants de l’Arcom, de Google, de la fédération française des télécoms (FFT), de la Cnil ou encore du Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) étaient auditionnés par la mission d’information du Sénat sur les dérives de l’industrie pornographique pour répondre aux difficultés de mise en application de la loi de 2020.
De nombreuses délégations de sénatrices ont également travaillé sur les conditions de travail des acteurs et actrices du milieu pornographique. Experts à l’appui, le lien entre prostitution et pornographie semble établi tout en reconnaissant un certain flou juridique sur le sujet.
Cassation : Camgirl & contenus filmés exclus de la qualification de prostitution
Dans ce contexte, une récente décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 18 mai 2022 (n°21-82.283) a tranché la question difficile de la qualification des camgirl & camboy comme actes de prostitution.
Selon la Cour de cassation, il ne peut y avoir d’infraction de proxénétisme sans prostitution et il ne peut y avoir de prostitution sans contact physique onéreux avec le client pour la satisfaction des besoins sexuels de celui-ci. Il en découle que les plateformes numériques qui organisent du caming (ou du sexcam) ne peuvent ètre poursuivies au titre des articles 225-5 et suivants du code pénal incriminant le proxénétisme.
Résumé : « En l’absence de définition légale de la prostitution, dont la caractérisation conditionne l’incrimination de proxénétisme, et en présence de textes récents dont il résulte que le législateur n’a pas entendu étendre la définition jurisprudentielle de cette notion, arrètée par la Cour de cassation en 1996, et selon laquelle cette activité consiste à se prèter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui, il n’appartient pas au juge de modifier son appréciation dans un sens qui aurait pour effet d’élargir cette définition au-delà de ce que le législateur a expressément prévu. Doit ainsi ètre rejeté le pourvoi qui reproche à une chambre de l’instruction d’avoir refusé d’étendre la définition de la prostitution à l’activité de « caming », consistant à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d’images ou de vidéos à contenu sexuel, le client pouvant donner à distance des instructions spécifiques sur la nature du comportement ou de l’acte sexuel à accomplir, dès lors que celle-ci n’implique aucun contact physique entre la personne qui s’y livre et celle qui la sollicite »
Par cette décision relevant d’une interprétation stricte de la loi pénale, la Cour de cassation semble distinguer de manière tranchée la prostitution de la pornographie, au détriment d’une meilleure protection de potentielles et réelles victimes de systèmes de proxénétismes intégrant généralement la création de contenus numériques. Seul le législateur semble aujourd’hui capable de transformer le droit positif en la matière tel qu’il a déjà pu le faire notamment contre le revenge porn.
Retrouvez notre dossier consacré aux affaires judiciaires impliquant des producteurs et hébergeurs de contenus pornographiques :
PornHub & Xvideos : Responsabilité pénale des plateformes pornographiques
Jacquie & Michel : les poursuites judiciaires d’un diffuseur de contenus adultes