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PornHub et Xvideos : Responsabilité pénale des plateformes pornographiques

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Dans un contexte marqué ces derniers mois par une mise en cause des principaux acteurs de l’industrie pornographique – Voir notre dernier article consacré aux poursuites contre la plateforme Jacquie et Michel pour viol et proxénétisme en bande organisée , c’est au tour du géant PornHub de voir sa responsabilité engagée cette fois sur le terrain de son statut d’hébergeur de contenus en ligne et ses manquements à ses devoirs de modération.

Filiale du groupe MindGeek, physiquement à Montréal et fiscalement au Luxembourg, détenant également les plateformes YouPorn, Redtube, XTube et Brazzers, la plateforme PornHub est le dixième site le plus visité au monde devant Netflix ou Amazon avec des statistiques allant jusqu’à 42 milliards de visite et six millions de vidéos téléchargées par année.

Ces derniers mois, PornHub a été dénoncé à de multiples reprises par des associations pour proposer des contenus illégaux.

Le 4 décembre 2020, un journaliste dénonce dans un article du NewYork Times la politique particulièrement laxiste du diffuseur de contenus adultes : de très nombreuses vidéos d’agressions sexuelles en tout genre, viols, spycam et revenge porn notamment de personnes mineures auraient été constamment accessibles à partir de la plateforme.

PornHub : Explications et réactions

Suite à ces révélations, les solutions de paiement Visa et Mastercard ont arrèté leurs services sur l’ensemble des plateformes pornographique du groupe MindGeek et sur la plateforme Xvideos, limitant l’accès aux abonnements avec leurs systèmes de paiement, la possibilité de faire des dons ou acheter des contenus.

« En 2019, plusieurs grands groupes, dont Unilever et Kraft Heinz, avaient déjà pris leurs distances avec PornHub après un article du journal britannique The Sunday Times expliquant avoir trouvé sur la plateforme des contenus illégaux, dont des vidéos de pédopornographie ».

Cette décision unilatérale des gestionnaires de cartes a en réponse a provoqué le désarroi de nombreux professionnels, travailleurs du sexe, incapables de se rémunérer à partir de ces plateformes.

Anticipant sans doute des retombées judiciaires considérables, le site pornographique le plus visité au monde a supprimé ou du moins suspendu en quelques jours plusieurs millions de contenus utilisateurs et modifié ses conditions d’utilisation : il est désormais impossible de télécharger gratuitement les vidéos visionnées, une authentification obligatoire des uploaders de contenus avec demande de pièces d’identité est exigée, une surveillance accrue des termes de recherche et une équipe spécialisée dans la traque de contenus illégaux a été mise en place.

PornHub & partenaires : des poursuites judiciaires en cascade

La récente affaire a permis la médiatisation de procédures judiciaires intentées contre la plateforme par différentes victimes depuis plusieurs mois. En Californie, quarante femmes liées au scandale GirlsDoPorn ont lancé une action collective de 40 millions de dollars dénonçant les profits tirés par PornHub de l’exploitation de vidéos issues de trafic sexuel.

Début janvier, une action collective de 600 millions de dollars a été initiée par une femme accusant la plateforme d’avoir hébergé une vidéo du viol qu’elle a subi à ses 12 ans, s’enrichissant de cette diffusion sans consentement d’images intimes.

Il peut également ètre mentionné dans une moindre mesure un recours collectif lancé par un américain atteint de surdité dénonçant l’absence de sous-titres dans les contenus pornographique et le non-respect de la plateforme des dispositions fédérales sur les personnes handicapées.

En France, trois associations – l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), le COFRADE et l’UNAF – ont récemment saisi le CSA pour limiter le référencement et l’accessibilité de plusieurs plateformes aux mineurs dont Pornhub, Jacquie et Michel, Xvideos ou encore xHamster. Elles dénoncent le caractère trop simple et permissif du dispositif de vérification de l’âge des internautes en violation des dispositions légales.

Le 19 janvier 2021, une enquète pénale en République Tchèque serait diligentée contre la plateforme Xvideos, fort de contenus présentant des abus sexuels contre des femmes et des enfants, malgré la suppression massive de la plateforme de millions de vidéos litigieuses, à l’instar de PornHub.

Pornhub : Laxisme dans la modération et monétisation de contenus immoraux

Laxisme dans la modération. Concernant la diffusion de contenus, les reproches formulés contre la plateforme tiennent principalement aux conditions dans lesquelles Pornhub respecte ses devoirs de modération et contrôle des contenus sur signalement.

Sa plateforme était à ce titre également utilisée pour la diffusion de contenus plus classiques et non pornographiques, les utilisateurs étant séduits par les règles de modération plus souples que d’autres hébergeurs tel YouTube.

Plusieurs victimes et professionnels ont ainsi dénoncé d’une part la lenteur parfois considérable pour obtenir le retrait de contenus manifestement illégaux – jusqu’à six mois pour la vidéo d’un viol en réunion sur mineurs malgré plusieurs notifications. De la mème manière, l’absence de moyens sérieux permettant d’empècher une rediffusion d’un contenu valablement supprimé est constamment pointée du doigt par les victimes et justiciables.

Les sites pornographiques ne sont cependant pas les seuls concernés par ces problématiques, la majorité des hébergeurs de contenus et réseaux sociaux étant également confrontés aux diffusions de contenus illégaux et pornographiques. La suppression/suspension massive opérée en décembre par PornHub marque à ce titre un choix frappant n’ayant à ce jour pas eu d’équivalent chez Facebook, Google, Snapchat, TikTok ou Twitter.

Exploitation commerciale d’actes illicites. Par ailleurs, l’ensemble des actions collectives dirigées contre la plateforme mettent en avant sa rémunération à partir des revenus publicitaires, à la collecte de données et abonnements premium issus de contenus illicites, profitant « du viol, des abus sexuels et du trafic sexuel de femmes et d’enfants ».

Une campagne baptisée sur les réseaux sociaux #Traffickinghub et lancée par des experts de la lutte contre le trafic humain milite pour la reconnaissance d’une responsabilité pénale de PornHub pour avoir autorisé ou favorisé la traite et l’exploitation sexuelle massive de femmes et de mineurs et d’en tirer des profits.

Force est de constater que la modération de ce type de contenus est particulièrement difficile. Les technologies actuelles ne peuvent de fait évaluer avec certitude l’âge des participants, leur consentement : largement promues, les technologies de marquage et fingerprinting semblent avoir en pratique une efficacité très contestée.

De la mème manière, les choix éthiques ou moraux le type de contenus tolérés notamment en matière de pratiques BDSM ne peuvent ètre traités à ce jour par des algorithmes.

En novembre 2019, une enquète journalististique avait déjà révélé les failles des entreprises du numérique pour détecter et modérer les contenus pédopornographiques diffusés.

Encadrement pénal de contenus pornographiques et pédopornographiques

Légalement, les sites à caractère pornographique sont licites sous réserve de ne pas violer des dispositions spécifiques. Plusieurs infractions seraient susceptibles d’ètre constituées selon le contenu de la vidéo notamment l’enregistrement et la diffusion d’images violentes (art. 222-33-3 C. Pén), la provocation au crime ou au délit (art. 24 loi 1881).

Plus précisément, certains agissements pornographiques sont réprimés par le Code pénal et notamment son article 227-24 prévoyant que: « Le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’ètre vu ou perçu par un mineur.

Hébergement et diffusion de contenus pédopornographiques. Le Code pénal sanctionne spécifiquement à son article 227-23 les formes de diffusion, enregistrement ou partage d’image à caractère pornographique impliquant un mineur. C’est un délit particulièrement technique dans sa conception mais dont les termes sont suffisamment larges pour permettre des poursuites étendues de la part du ministère public.

La LCEN prévoit par ailleurs depuis 2014 que les hébergeurs sont tenus d’une obligation renforcée de modération et suppressions de contenus terroristes ou pédopornographique après notification de la part des autorités administratives. Cette législation est applicable à tout contenu y compris étranger dès lors que le contenu peut ètre visionné par des français, depuis le sol français, et leur causer un préjudice.

Le revenge porn. Cette pratique consiste à publier des contenus pornographiques d’une personne sans son consentement et généralement à son insu. Les moyens de défense des victimes étaient historiquement limités, ces derniers pouvant principalement fonder leurs actions uniquement devant les juridictions civiles sur la violation de la vie privée et du droit à l’image (Art. 9 C. civ ; Art 12 Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, art.8 Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme).

D’interprétation stricte, le Code pénal et son application par les juridictions ne prévoyaient pas la poursuite d’une diffusion d’un contenu dès lors que la personne avait consenti à sa prise de vue (Cass. crim., 16 mars 2016, n° 15-82.676)

Le développement de ces pratiques et la pression médiatique ont encouragé les pouvoirs publics à légiférer sur la question créant une nouvelle infraction pénale.

Au sein de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, le délit de revenge porn ou « le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-mème » est désormais sanctionné par l’article 226-2-1 Code pénal au sein des infractions relatives à l’atteinte à la vie privée.

Les auteurs de l’infraction encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende dans un délai de prescription de six ans suivant la diffusion.

D’autres pays ont mis en place d’autres outils controversés notamment l’Australie imposant préalablement de soumettre à une autorité compétente les contenus risquant d’ètre diffusés afin de documenter une base de données informatiques stockée par le GAFA Facebook.

Consultation de sites internet et recel. Les internautes consommant ce type de contenus sont également passibles de sanctions pénales. En effet, la consultation de vidéos ou images violentes ou portant atteinte à la dignité pourrait exposer ses visionneurs à des sanctions pénales pour recel, ces derniers ayant profité du produit d’une infraction (et donc sous réserver que le contenu visionné soit lui-mème illégal au sens du Code pénal).

Le recel est puni de 5 ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. L’alinéa 4 de l’article 227-23 prévoit par ailleurs explicitement que la consultation de sites pédophiles est passible de sanctions pénales, ces dernières pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

Une réforme du contrôle d’accès aux contenus pornographiques

Un mouvement plus général lancé depuis plusieurs années vise à mettre à jour les outils permettant de réguler plus efficacement l’accès aux sites internet. La France a ainsi intégré une déclaration de majorité obligatoire contrôlée et sanctionnée par le Conseil Supérieure de l’Audiovisuel, encadré par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

L’avenir pourra apprécier de son efficacité tandis qu’un dispositif similaire lancé au Royaume-Uni en 2017 s’est soldé par un échec cinglant. Après deux ans de tentatives visant à trouver les conditions d’application de ce régime, imposant de composer avec d’autres principes fondamentaux notamment la vie privée, la protection des mineurs et la liberté d’expression, le gouvernement a finalement renoncé à sa mise en Å“uvre.

L’administration américaine a lancé début 2021 une réflexion législative pour empècher l’exploitation sexuelle ou le partage de vidéos pédopornographiques sur Internet.

Baptisé SISEA, Stop Internet Sexual Exploitation Act, les principales dispositions du texte prévoient l’identification des personnes diffusant les contenus déclarant le consentement des personnes représentées dans les images et vidéos, la mise en place de moyens de retrait de contenus par les plateformes hébergeurs, l’interdiction de toute forme de téléchargement, des délais de suppression raccourcis jusqu’à deux heures, la mise en place de solutions logicielles garantissant l’impossibilité d’une rediffusion d’un contenu supprimé.

La mise en application d’une telle loi impliquerait un travail colossal d’identification et certification des contenus existant ainsi que des personnes présentes, tout en rigidifiant une frontière entre travailleuse du sexe et victime.

Dans le pays d’accueil de PornHub, au Canada, cette affaire a connu un écho tout particulier les pouvoirs publics réfléchissant à créer de nouveaux moyens de lutte notamment des incitatifs fiscaux pour les compagnies de technologies de l’information oeuvrant dans les domaines pornographiques qui ont été reconnues coupables d’une infraction criminelle, notamment concernant la pornographie juvénile.

PornHub : un hébergeur de contenus en ligne à la responsabilité limitée

La loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) encadre la responsabilité civile et pénale des hébergeurs de contenus sur internet. Sont concernés les opérateurs de plateformes tel les réseaux sociaux, moteurs de recherches ou plateformes de diffusion de contenus utilisateurs tel YouTube, Twitch ou Pornhub.

Les hébergeurs « assurent, mème à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par les destinataires de ces services ».

En vertu du régime de responsabilité prévu à l’article 6 de la LCEN, les hébergeurs ne sont responsables de contenus publiés sur leurs services qu’à la suite d’une notification de l’existence d’un contenu litigieux, soumis à un certain formalisme, et l’absence de réaction de ce dernier quant au blocage ou suppression dudit contenu dans un délai raisonnable. Il sera dès lors considéré comme co-auteur du contenu et pourra ètre poursuivi par les victimes ou personnes intéressées.

Depuis sa création issue de la directive du 8 juin 2000, l’évolution des services en ligne a conduit les juridictions et pouvoirs publics à faire évoluer vers une plus grande implication des hébergeurs dans le contrôle des contenus proposés à partir de leur plateforme notamment en matière de protection de droit d’auteur ou de lutte contre des contenus terroristes ou haineux.

Des codes de conduite visant à combattre les contenus illicites en ligne ainsi que des recommandations de la Commission européenne ont ainsi proposé des outils pertinents, bien que ces instruments n’aient de caractère contraignant.

Pornhub, YouTube & Facebook : L’avenir de la responsabilité des hébergeurs de contenus sur Internet

De nombreux acteurs du numérique se résignent à constater la défaillance de l’auto-régulation du secteur actuellement. La régulation des contenus en ligne impose un équilibre entre liberté de communication et contrôle des abus que chaque état appréhende selon ses propres principes : de la censure institutionnalisée en Chine aux États-Unis prônant une liberté de principe – récemment contesté par le projet de réforme de la section « 230 » porté par l’ancien président D. Trump garantissant l’irresponsabilité de principe des hébergeurs de contenus sur internet, l’Europe travaille à l’élaboration d’une solution médiane avec le Digital Services Act.

Le texte vise à renforcer la responsabilité des plateformes notamment via la modération des contenus : informations des moyens mis en place et motivation des sanctions, voies de recours consacrées, intermédiaire officiel entre les plateformes et les autorités avec des sanctions civiles et pénales, etc.

En France, une proposition de loi du 24 juin 2020 contre les contenus haineux sur internet – Loi Avia – proposait des outils régulant la modération des contenus avec notamment des délais de suppression quasi-immédiats, censuré par le Conseil constitutionnel pour « non-compatibilité avec la liberté d’expression ».

Certains éléments sont cependant réapparus sous la forme d’un amendement dans la prochaine loi séparatisme, anticipant la loi Digital Services Act. On peut enfin mentionner la récente ordonnance du 21 décembre 2020 transposant la directive « service des médias audiovisuel » complète les mécanismes d’autorégulation envisagés.

Procédures largement inspirées de celles mises en place par le RGPD pour la protection des données personnelles, l’application du Digital Services Act pourrait constituer un tournant considérable pour rééquilibre les déviances et abus constatés par les hébergeurs et à terme une meilleure régulation du secteur.

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Publié le : 21/01/2021
Mis à jour le : 18/12/2023

PX Chomiac de Sas