Jacquie et Michel : les poursuites judiciaires d’un diffuseur de contenus adultes
Article co-écrit avec Me Alexandre Couilliot, avocat associé, Friedland AARPI
Le 10 septembre dernier, le parquet de Paris annonçait que la société de diffusion de contenus pornographiques « Jacquie et Michel » faisait l’objet d’une enquète judiciaire pour des faits de viol et proxénétisme en bande organisée.
A l’origine de cette affaire, le site internet Konbini réalise en février 2020 une interview de plusieurs femmes ayant participé à des tournages pornographiques distribués par la suite sous la marque « Jacquie et Michel », guidant plusieurs associations féministes Les Effrontées, Osez le Féminisme ! et Le Mouvement du Nid, à porter plainte dénonçant notamment des actes sexuels non consentis pendant les tournages, des pratiques sexuelles « hors norme et douloureuses » ou encore « des actes de torture et barbarie et d’abus de faiblesse ».
L’affaire confiée au 3ème district de la police judiciaire de Paris a donné suite à l’ouverture d’une enquète par le Parquet de Paris le 10 juillet dernier. Les chefs d’infractions examinés contre le diffuseur de contenus, axant l’essentiel de son activité sur le développement de sa marque « Jacquie et Michel », révèlent les conflits juridiques et judiciaires auxquels sont confrontés les travailleurs dans ce secteur particulier.
Jacquie et Michel, un diffuseur de contenus audiovisuels
Pour rappel, la pornographie est aujourd’hui présentée comme le tournage de scènes au sein desquels des acteurs et actrices sont rémunérés pour effectuer des actes sexuels non simulés, dans le cadre d’une mise en scène. Elle serait assimilable ainsi à toute autre production audiovisuelle ou cinématographiques, encadrée juridiquement par différents contrats passés entre les professionnels impliqués : les acteurs, producteurs, diffuseurs, etc.
Créé en 2004, la marque « Jacquie et Michel », propriété de la société Arès, regroupe aujourd’hui une dizaine de sociétés distinctes assurant une variété d’activités notamment un site de rencontre, un live show, l’exploitation d’un jeu vidéo, la vente de produits dérivés et plusieurs plateformes de diffusion de contenus pornographiques.
Cette dernière s’est développée en déléguant les moyens de production à des tiers, se concentrant sur leur commercialisation et distribution rémunérant les ayants droits des vidéos sous forme de royalties.
Juridiquement, le rôle de Jacquie et Michel dans la création de contenus audiovisuels le place au rang de diffuseur de contenus à l’image de chaines télévisées ou autres plateformes dans le mème secteur tel Dorcel, Union, PornDoe, etc.
La marque Jacquie et Michel s’est aujourd’hui largement développée multipliant les partenariats et opérations de sponsoring pour accroitre leur notoriété et la valeur de leur marque. En février 2019, la plateforme avait ainsi annoncé un partenariat avec l’équipe de rugby de Carcassonne avant d’ètre rejeté par la ligue nationale de rugby, considérant l’opération incompatible avec le règlement de la LRN et le public familial présent aux évènements.
En mars 2020, c’est l’écurie Full Motorsport qui obtient un sponsoring de la marque du groupe Arès pour l’un de ses bolides avant que la chaine Canal + n’annonce l’arrivée en aout 2020 d’une nouvelle chaîne sur son bouquet destinée aux contenus diffusés par « Jacquie et Michel ».
Jacquie et Michel fréquemment exposé judiciairement
Parallèlement à son développement, la notoriété et le secteur d’activité du diffuseur « Jacquie et Michel » lui causent régulièrement d’ètre impliqués ou nommés dans plusieurs affaires judiciaires.
Lieux de tournage & AirBnB. La firme a ainsi été poursuivie suite à la location par l’une de leurs actrices pour un tournage d’un appartement privé via la plateforme de réservation AirBnB en 2017. Découvrant la vidéo après les faits, le propriétaire de l’appartement a assigné en justice la société de production tandis que AirBnB a proposé une indemnisation partielle. Déboutée en premier instance en juin 2020, le propriétaire a décidé de poursuivre en appel l’actrice, ayant été le commanditaire officiel de la réservation.
Pornographie & prud’homme. Caractérisé par le tournage de vidéos avec des acteurs et actrices amateurs, plusieurs personnes ont été confrontées à des licenciements pour avoir tourné dans des vidéos diffusées par le distributeur. En 2018, une jeune femme ayant participé dans une vidéo estampillée « Jacquie et Michel » est licencié pour faute grave, son employeur ayant considéré que cette dernière avait porté atteinte à l’image de sa fonction et de ses collègues.
L’instance prudhommal a reconnu la procédure de licenciement abusive pour défaut de faute professionnelle et condamné l’association employeur à verser 5.000 euros au titre de dommages et intérèts à la plaignante.
En septembre 2019, la Cour d’appel de Pau a, à l’inverse, validé le licenciement d’un agent de service intérieur au sein d’une association en charge de personnes mineurs inadaptées et handicapées, la juridiction rappelant la mission de protection à l’égard du jeune public en difficulté accueilli, susceptible de faire l’amalgame entre le salarié représentant l’autorité qui a nécessairement un rôle éducatif de référent et de confident et la personne privée, acteur de film pornographique amateur (Pau, 26.09.2019, 16/02284).
Comment retirer des vidéos pornographiques diffusées en ligne ?
De nombreuses acteurs et actrices sont rapidement confrontés à la diffusion massive des vidéos les exhibant et leur causant ultérieurement des préjudices parfois considérables.
La complexité voire l’opacité entourant les structures organisant et diffusant les contenus adultes rendent difficile l’identification des véritables propriétaires des vidéos et responsables auprès desquels obtenir le retrait des contenus. Dans le cadre de Jacquie et Michel, ces derniers opposent leur statut de leur distributeur de contenus sans en détenir les droits d’auteurs, appartenant selon eux aux seuls producteurs de vidéos à l’origine de la création des scènes.
Ces derniers opposent généralement les consentement et cession des droits d’auteurs dans les contrats signés, et plus généralement, l’absence de contrôle réel des contenus en ligne, constamment contrefaits et rediffusés à partir de diverses plateformes notamment à l’étranger. Les transactions aboutissent fréquemment au rachat des droits des vidéos auprès du producteur pour des sommes généralement rédhibitoires.
La fragilité juridique des contrats signés
L’encadrement contractuel des relations professionnelles entre les différents intervenants, principalement les acteurs avec le producteur audiovisuel, peut cependant souffrir de faiblesses pouvant fonder juridiquement l’obtention du retrait des contenus :
- Droit d’auteur. Elément majeur limitant le contrôle des acteurs sur la diffusion des vidéos les représentant, les contrats comportent systématiquement des clauses relatives à l’exploitation des droits d’auteurs concédés à l’occasion du tournage. Il est ainsi commun de trouver des clauses permettant aux producteurs d’exploiter « tous les attributs de leur personnalité dans le cadre d’une production pornographique », « sur tous supports connus ou inconnus à ce jour », « dans le monde entier », « pour une durée de 99 ans ».La terminologie, volontairement la plus large possible, est destinée à garantir aux producteurs une liberté totale dans l’exploitation des vidéos tournées. De telles clauses sont cependant critiquables permettant légalement de remettre en cause la validité mème du contrat.
En effet, le Code de propriété intellectuel prévoit à son article L131-3 que « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».
Dans le cas où le contrat serait annulé, le producteur ne disposerait d’aucun droit sur la représentation de l’image des acteurs et pourrait ètre poursuivi sur le fondement de la contrefaçon, le paiement des acteurs n’emportant pas automatiquement le transfert des droits d’auteur.
Il interdit par ailleurs la cession des droits moraux des acteurs prévues à l’article L121-1 du CPI notamment le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
- Nullité des contrats. La validité des contrats en droit français est subordonnée à la réunion de plusieurs éléments notamment la présence de personnes capables consentant sur un objet licite et certain. Outre les réserves invocables relatives à la nature de la prestation – des acte sexuels, potentiellement exclus du champ contractuel – les conditions de signature des contrats, le tournage, le défaut de précisions quant aux prestations exigées des acteurs sont autant d’éléments susceptibles d’invalider le contrat au titre des vices de consentement pour erreur, dol voire violence, physique ou morale.
- Requalification en contrat de travail. De la mème manière, s’il est fréquent de trouver des clauses précisant que « la prestation ne constitue pas un travail : en l’absence de directive du réalisateur, la signataire était libre de ses gestes et de ses paroles, et aucun lien de subordination ne s’est installé. », la réalité du tournage peut remettre en cause la véracité de cette clause pouvant potentiellement requalifier en contrat de travail la relation liant les acteurs aux producteurs.
Le droit à l’oubli numérique, droit à l’image et RGPD
La récente consolidation par le Règlement Générale à la Protection des données des moyens de contrôle des données personnelles en ligne offre une opportunité juridique complémentaire pour obtenir le déréférencement de contenus litigieux des moteurs de recherche, premiers vecteurs de contenus aujourd’hui sur Internet.
Par le passé, Google a été contraint de supprimer les liens renvoyant vers des contenus pornographiques litigieux. Dans un référé d’heure à heure, il a été reproché au moteur de recherche d’avoir « participé à la réalisation du dommage moral que la femme a subi du fait de l’association à ses nom et prénom du film en cause ».
Si cette dernière avait tourné les vidéos sous pseudonyme, la possibilité pour son entourage personnel ou professionnel d’accéder aux résultats obtenus en tapant ses nom et prénom en lien notamment avec son pseudo constituait un trouble manifestement illicite. L’hébergeur était par ailleurs tenu de livrer l’ensemble des informations à sa disposition pour identifier les éditeurs des sites litigieux.
Une ex-mannequin a également pu sur le fondement du droit à l’image exiger le retrait de photographies à caractère érotique pour lesquelles la victime avait pu démontrer le refus de son consentement.
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La récente plainte soulève par ailleurs un enjeu plus grave portant sur le statut légal de la pornographie et ses liens avec la prostitution et le proxénétisme, décrié depuis de nombreuses années par de nombreux professionnels.
Jacquie et Michel : Pornographie, prostitution & proxénétisme
Certains éléments de l’enquète en cours visant indirectement le diffuseur Jacquie et Michel portent sur les déclarations selon lesquelles certains acteurs sont encouragés voire rémunérés pour rechercher de nouveaux acteurs et actrices. Le courtage en matière pornographique étant explicitement prohibé, de telles pratiques pourraient seules tomber sous le coup de la qualification de proxénétisme.
Au soutien de leur demande, les trois associations féministes rappellent le statut critiqué de l’industrie pornographique oscillant entre production audiovisuelle adulte ou exploitation sexuelle filmée.
Pour rappel, les articles 225-5 et suivant du Code pénal sanctionnent le délit de proxénétisme et ses formes dérivée tel le proxénétisme par incitation à la prostitution ou par profit de la prostitution d’autrui, par assimilation. L’infraction renvoie à trois situations : l’aide ou l’assistance à la prostitution d’autrui, le profit généré d’une prostitution d’autrui, l’embauche ou le contrôle sur une personne en vue de lui faire réaliser des actes de prostitutions.
Les peines aggravées, notamment pour bande organisée ou actes de barbaries commis montent les peines jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle, voire la perpétuité et 3 à 4 millions d’euros d’amendes.
Les producteurs de films X organiseraient ainsi des réseaux de prostitutions en assurant la mise en relation de plusieurs personnes, l’acte sexuel réalisé et l’échange d’argent. Les rentes issues de la diffusion des films à l’initiative de la société de production justifieraient la qualification de proxénétisme, à l’image de celle déjà existante tel le proxénétisme hôtelier.
C’est en ce sens que se sont prononcées les juridictions californiennes condamnant à une sanction de 13 millions de dollars la plateforme « Girls Do Porn » pour fraude, coercition et intimidation. Les juridictions ont pu retenir par ailleurs le caractère invalide et frauduleux des contrats signées avec les participantes.
Tous complices, tous responsables. Retenir la pornographie dans sa globalité comme une forme de prostitution et par extension de proxénétisme aggravé pourrait avoir des conséquences titanesques, susceptible d’emporter la responsabilité en cascade d’un nombre considérable de personnes comme auteurs, complices ou receleurs de l’infraction, sous réserve de pouvoir caractériser leur conscience de participer directement ou indirectement à une infraction.
De fait, toutes les intervenants impliquées dans l’organisation, la diffusion, la publicité ou touchant une forme de rémunération pourraient tomber sous le coup de la loi pénale : les producteurs et réalisateurs, les assistants, techniciens, maquilleurs, caméra-men présents sur le tournage, mais également les diffuseurs, chaines de télévision câblée ou sur internet, certains organes de presse, Internet et de très nombreux annonceurs et publicitaires réalisant un pourcentage de leur chiffre d’affaire avec l’industrie du X.
Les sociétés du numérique favorisant, assistant ou s’enrichissant mème indirectement et en connaissance de cause seraient également passibles des mèmes peines : Google, Apple, Amazon.
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