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2024.11 – Revue Lamy Droit de l’Immatériel – Jeux vidéo & biens virtuelle : une lutte de propriété entre éditeurs et joueurs

RLDI - Jeux vidéo & biens virtuels - une lutte de propriété entre éditeurs et jeux vidéo

A l’occasion de la parution du dernier numéro de la Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Pierre-Xavier Chomiac de Sas et Sophie Roman ont proposé une présentation de la question délicate de la propriété des jeux vidéo et biens virtuels.

Massivement voire exclusivement dématérialisées de nos jours, la qualification des transactions portant sur le jeu vidéo et ses objets est aujourd’hui largement en faveur du seul éditeur. Intuitivement associé à l’exploitation de biens immatériels, le droit de la propriété intellectuelle a été largement privilégié pour encadrer la création et l’exploitation des jeux vidéo.

L’offre d’objets virtuels au sein des jeux vidéo est génératrice d’incertitudes juridiques quant à la nature réelle des droits en présence. Si ces derniers sont contractuellement dévolus à l’éditeur, un régime plus équitable pour le joueur pourrait être envisagée.

Article juridique publié dans la revue Lamy Droit de l'Immatériel sur la propriété des jeux vidéo et le conflit entre joueurs et éditeurs

Jeux vidéo : Une propriété contractuelle de l’éditeur sur ses jeux

Force est de constater qu’il n’existe pas de véritable réglementation spécifique pour le jeu vidéo : seules des dispositions d’ordre générales, comme celles relatives aux compétitions esportives ou à la protection des mineurs.

La nature diversifiée des jeux vidéo complique leur qualification juridique, et c’est principalement le droit des contrats qui régit leur utilisation, avec une tendance à attribuer la propriété du jeu et de ses éléments au studio de développement.

Par ailleurs, il existe une confusion croissante entre achat et location, notamment en ce qui concerne les objets virtuels. Bien que commercialisés comme des « achats », ces objets sont souvent accompagnés de contrats mentionnant des licences d’utilisation, ce qui conforte la position de l’éditeur sur le contrôle des biens virtuels.

Cette confusion a été particulièrement problématique dans des cas comme celui du métavers Second Life, où des questions ont émergé concernant la représentation de droits de propriété réels et les transactions financières.

Il existe enfin des risques pour les éditeurs, notamment la requalification juridique de certains jeux vidéo en jeux d’argent, en particulier si les joueurs peuvent acheter et revendre des biens virtuels avec une plus-value. Cette situation pourrait entraîner des régulations plus strictes, comme celles contre l’addiction et la protection des mineurs.

Un exemple de ce risque est celui des « Loot Boxes », des coffres virtuels vendus avec une somme d’argent et offrant des avantages aléatoires dans le jeu. Ces objets ont suscité des inquiétudes, car leur fonctionnement ressemble à des jeux d’argent, entraînant des régulations et des sanctions dans certains pays. En France, l’Autorité Nationale des Jeux a proposé des critères pour déterminer si les loot boxes doivent être considérées comme des jeux de hasard, notamment selon la possibilité de paiement, le caractère aléatoire des gains, et la possibilité de revendre les objets en monnaie réelle.

Illustration de la protection de la propriété intellectuelle d'un jeu vidéo

Propriété des jeux vidéo : que peuvent les joueurs ?

Enjeu majeur dans la pratique contemporaine des jeux vidéo, la propriété dans les jeux vidéo à l’ère de la dématérialisation, transforment les droits attachés au profit des utilisateurs.

En effet, les joueurs perdent leur droit de propriété sur les supports physiques des jeux (disques, cartouches, etc.) au profit d’une simple licence d’utilisation numérique. Cette évolution a des conséquences juridiques, notamment la non-application de la théorie de l’épuisement des droits à la distribution des jeux dématérialisés, comme cela avait été admis pour les logiciels. Cela empêche les joueurs de revendre ou de transférer leurs jeux, contrairement aux biens matériels.

De plus, les joueurs perdent souvent leurs objets virtuels en cas de résiliation du contrat par l’éditeur, sans compensation. L’idée d’une reconnaissance du droit de propriété sur ces objets virtuels, définis comme des biens ayant une utilité est certaine intéressante. Cependant, le contrôle quasi-total de l’éditeur sur les objets dans le jeu empêche cette reconnaissance.

Certains auteurs suggèrent une « propriété virtuelle », inspirée de la propriété réelle, mais la distinction entre mondes virtuel et réel est de plus en plus floue avec des objets numériques comme les NFT, des biens uniques garantis par la blockchain. Toutefois, leur statut juridique reste incertain.

Enfin, la loi SREN du 21 mai 2024 encadre les objets numériques monétisables, imposant des règles strictes pour protéger les utilisateurs et réguler les transactions, sous le contrôle de l’Autorité Nationale des Jeux.

Retrouvez notre guide reprenant ces éléments.

Depuis plusieurs années, le jeu vidéo est appréhendé à travers le prisme de la propriété intellectuelle. En tant qu’œuvre protégée, le jeu vidéo et par extension l’ensemble des éléments intégrés est la réalisation d’une multitude d’auteurs, professionnels ou amateurs, éditeurs voire joueurs (A). En conséquence, l’organisation de son exploitation économique demeure un enjeu majeur, sous le contrôle le plus stricte de l’éditeur de manière indivise.

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A qui appartient les jeux vidéo ? Editeurs ou moddeurs ?

Le jeu vidéo est une œuvre particulère qui, en raison de son évolution constante, ne bénéficie pas d’une définition légale précise. Il dépasse la simple catégorie de logiciel en intégrant des éléments divers comme des scénarios, de la musique, des effets sonores et des animations, nécessitant une protection par le droit d’auteur.

En 2009, la Cour de cassation a qualifié le jeu vidéo d’« œuvre complexe », protégeant ainsi ses divers composants (gameplay, design, musique, etc.) sous le droit d’auteur. Les studios de production, en tant que créateurs, détiennent généralement les droits d’exploitation.

L’implication des joueurs dans la création du jeu vidéo, notamment via la personnalisation des avatars, les mods (modifications créées par les utilisateurs) et l’ajout de contenus, a ajouté une dimension juridique supplémentaire.

Bien que les apports des joueurs puissent être protégés par le droit d’auteur, cette protection dépend de l’originalité des contributions et du degré de personnalisation permis par l’éditeur. Cependant, les performances des joueurs dans un contexte compétitif, comme dans l’e-sport, ne sont généralement pas reconnues comme des créations artistiques protégées.

Les mods, créés par les joueurs en utilisant des éléments du jeu vidéo, sont considérés comme des œuvres composites et nécessitent l’autorisation de l’éditeur pour leur exploitation. En cas de non-respect, des accusations de contrefaçon peuvent survenir.

Plusieurs conflits juridiques célèbres ont illustré cet enjeu, comme celui autour du mod « DotA » entre les studios Blizzard, Valve, et Riot Games. Les éditeurs de jeux vidéo encadrent strictement l’utilisation des mods à travers des contrats de licence d’utilisateur final (CLUF), interdisant l’utilisation de contenus protégés ou inappropriés.

Illustration du guide juridique de PCS Avocat sur la création et le financement d'un jeu vidéo par un studio

Jeux vidéo : L’exploitation commerciale largement contrôlé par l’éditeur

En plus de la vente initiale du jeu, les éditeurs ont introduit de nouvelles formes de monétisation, par exemples des achats ponctuels, des publicités dans les jeux, et l’exploitation des données personnelles des joueurs. Des pratiques telles que les « Loot Boxes » et le « skin gambling » suscitent des interrogations juridiques sur leur légalité.

L’exploitation patrimoniale des droits d’auteur, via la vente de licences, d’adaptations ou de produits dérivés, reste la principale source de revenus pour les éditeurs. Cette monétisation inclut également la commercialisation de produits dérivés liés aux compétitions, comme des jouets ou des films.

De plus en plus déployée, l’implication des joueurs dans la création de mods soulève la question de leur participation et potentielle rétribution. Bien que les éditeurs aient mis en place des systèmes permettant de rétribuer les créateurs de mods, le droit de propriété sur ces créations reste limité.

Les partenariats entre éditeurs et communautés de joueurs se multiplient, mais des défis techniques et juridiques surgissent, notamment en termes de conformité des mods aux exigences du droit de la consommation. Par ailleurs, certains éditeurs poursuivent les projets qui utilisent leurs licences, en particulier dans les domaines des jeux et de l’e-sport.

Une autre question soulevée est celle des licences d’exploitation imposées par les éditeurs, qui incluent souvent des clauses permettant l’utilisation des créations des joueurs sans compensation, sous des conditions contraignantes. La jurisprudence a précisé la légalité de ces clauses, certaines étant jugées abusives, mais sans requalification en cession de droits d’auteur. Ainsi, les joueurs créateurs ont peu de liberté face aux éditeurs, dont les conditions générales sont rarement permissives.

RLDI - Jeux vidéo & biens virtuels - une lutte de propriété entre éditeurs et jeux vidéo

Écrit par :

Publié le : 26/11/2024
Mis à jour le : 29/11/2024

PX Chomiac de Sas