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Jeu vidéo & Propriété intellectuelle : Quels droits pour les joueurs

Le 5 février 2024, PCS Avocat était convié sur le plateau du Monde du Droit par Arnaud Dumourier afin d’échanger sur le droit des jeux vidéo et l’encadrement légal du secteur vidéo ludique.

Interrogé sur les problématiques juridiques liées à la protection du jeu vidéo, Me Chomiac de Sas a pu revenir sur différents sujets contemporains touchant aujourd’hui le secteur vidéo-ludique, focalisé autour d’une notion phare : la titularité de la propriété intellectuelle du jeu vidéo et de sa pratique.

Illustration de la protection de la propriété intellectuelle d'un jeu vidéo

Créations issues des joueurs, Mods & Fan Games & propriété intellectuelle

La protection de la propriété intellectuelle du jeu vidéo est un enjeu central pour les studios et les éditeurs. Dans une logique d’accroissement de la durée de vie des jeux et de l’amélioration de l’expérience utilisateur, de nombreux éditeurs ont progressivement admis la possibilité pour les joueurs d’éditer, de modifier, de créer des contenus additionnels au sein même du jeu vidéo.

Ce développement des jeux vidéo offrant une appropriation et personnalisation des contenus par la communauté de joueur a permis la naissance d’une grande variété de mods de jeu, certains ayant connu un succès considérable jusqu’à inspirer de nouveaux genres de jeux vidéo.

Plusieurs éditeurs de jeux vidéo encouragent ce genre de pratique participant au perfectionnement du jeu, notamment Bethesda Softworks, responsable des franchise The Elder Scrolls et Fallout ainsi que Valve Corporation, propriétaire de la plateforme Steam et éditeur de la franchise Half Life.

C’est ainsi que sont apparus les éditeurs de cartes, la mise à disposition de moteurs de jeux vidéo, ainsi qu’une variété de moyens de personnalisation des personnages, objets voire scénarii du jeu vidéo. Le reverse engineering des consoles et l’analyse des logiciels source des jeux vidéo a permis par ailleurs l’apparition de « fan games », utilisant tout ou partie des assets ou lignes de code du jeux vidéo.

L’ensemble de ses créations soulève une question juridique importante : à qui revient la propriété intellectuelle du nouveau contenu créé au sein du jeu vidéo ? Juridiquement, la majorité de ces créations sont assimilables à des œuvres composites au sens du Code de la propriété intellectuelle :

CPI, art. 113-2 al 2 : « Est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière »

 En exploitant tout ou partie des éléments du jeu vidéo d’origine, l’utilisation du mod est nécessairement soumise à l’autorisation du propriétaire des droits du jeu vidéo : l’éditeur.

A défaut, les exploitants seront coupables de contrefaçon, sauf à ce que le jeu vidéo soit tombé dans le domaine public. À ce titre, les jeux vidéo accessibles en tant qu’ « Abandonware » demeurent soumis au droit d’auteur, quand bien même l’éditeur du jeu propose une mise à disposition à titre gratuite de son jeu vidéo.

Sous réserve de justifier de créations d’éléments originaux quant aux gameplay, scripts, graphismes, etc., les joueurs créateurs pourraient bénéficier de la protection du droit d’auteur sur les seuls éléments extérieurs au jeu d’origine.

Prévus dans le développement même du jeu vidéo, les éditeurs encadrent de plus en plus strictement l’utilisation et l’exploitation des contenus créés par les joueurs. Il est ainsi commun de trouver dans les CLUF un certain nombre de dispositions prévoyant un contrôle général voire discrétionnaire des contenus générés par la communauté de joueurs interdisant par exemple l’utilisation de contenus préexistants protégés par le droit d’auteur, l’intégration d’éléments illégaux, inappropriés, contraires aux bonnes mœurs, etc.

Récemment sont également apparus des clauses transférant de manière automatique et immédiate tous les droits associés à une création réalisée par les joueurs ou à défaut la concession d’une licence d’exploitation dans les conditions les plus larges possibles.

Monétisation. L’implication de la communauté de joueurs dans la création et le développement des mods ont rapidement soulevé la question de leur monétisation. Compte tenu des droits limités des moddeurs sur leur création, les éditeurs ont proposé plusieurs solutions visant à exploiter les mods en assurant un partage des recettes avec les développeurs, notamment Valve.

Une majorité des tentatives se sont cependant heurtés à des difficultés d’ordre technique, les mods commercialisés devant garantir une conformité et fonctionnalité suffisante au regard du droit de la consommation.

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Propriété des jeux vidéos et comptes par les joueurs

Historiquement, les jeux vidéo étaient distribués via des supports physiques : disquettes, cartouches, cd, etc. Aujourd’hui, la numérisation de la société et la dématérialisation de ses produits/services à rendu obsolète en matière de logiciel ce type de support. Accessible et téléchargeable depuis internet, les joueurs demeurent à ce jour titulaire d’une licence d’utilisation du jeu vidéo mais ont perdu la propriété du support physique et par voie de conséquence la possibilité de le revendre.

Il en est de même pour les comptes de joueur sur les plateformes dédiées comme Steam.

Le 21 octobre 2022, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt infirmatif, a confirmé la propriété intellectuelle des comptes clients au profit de la plateforme Steam détenue par la société Valve Corporation. Saisie initialement par l’association Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir (UFC) (20/15768), la Cour d’appel a plus précisément refusé de déclarer non écrite une clause des conditions générales interdisant aux utilisateurs de revendre un jeu téléchargé sur une plateforme – sans support physique.

Décrié par de nombreuses joueurs et gamers, il porte un coup certain au marché de l’occasion du jeu vidéo dématérialisé pour mieux protéger les studios et éditeurs de jeux vidéo, rappelant des règles classiques en matière de droit de la consommation.

Depuis plusieurs années, les juridictions ont admis la théorie de l’épuisement des droits de distribution, applicable aux programmes d’ordinateur mis à disposition pour une durée illimitée par téléchargement (arrêt Used Soft 3 juillet 2012 C128/11). Il permet aux copies matérielles ou immatérielles d’un programme ordinateur d’être librement cessible, l’auteur ne pouvant s’opposer à la libre circulation d’une œuvre commercialisée avec son accord dans l’Union européenne.

Toutefois, le jeu vidéo ne se cantonne pas à sa simple dimension logicielle et peut donc se libérer de cette jurisprudence comme œuvre complexe. La juridiction française a ainsi pu admettre que la théorie de l’épuisement du droit ne saurait jouer en matière de copies dématérialisées de jeux vidéo. A ce jour, il est donc impossible pour les joueurs de revendre leurs jeux vidéo dématérialisés ou comptes associés sans enfreindre la propriété intellectuelle des éditeurs et plateformes de jeux vidéo.

Actifs numériques dans un jeu vidéo

Dans cette même logique de rallonger l’expérience de jeu des utilisateurs et diversifier les modes de monétisation de ses contenus, les studios de jeux vidéo ont mis en place une variété d’outils numériques au profit des joueurs : de nouveaux objets, des customisations de personnages, skins, in game items, vies supplémentaires, etc.

La question de la patrimonialisation de ces actifs supplémentaires achetés par le joueur s’est progressivement posée au cours des dernières années aboutissant en synthèse à un simple droit de licence au profit des joueurs et utilisateurs, sauf à faire courir le risque aux éditeurs de voir le statut potentiellement requalifié en casinos en ligne.

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Propriété intellectuelle de la diffusion de jeux vidéo (streaming)

Le droit français applique à la communication une variété de régimes juridiques fondés à la fois sur le contenu en cause ainsi que sur le média de diffusion envisagé pour sa diffusion : télévision, radio, internet, messagerie privée, etc.

De nombreuses diffusions de contenus vidéoludiques, notamment de compétitions esportives, résultent d’une production impliquant une variété d’acteurs générant une œuvre alternativement de collaboration, composite voire collective, soumis à l’autorisation de l’ensemble des participants, principalement les studios de jeux vidéo.

Par exemple, l’éditeur Riot Games, à l’origine notamment du jeu « League of Legends », a annoncé dès 2017 qu’il ne resterait plus qu’une seule plateforme de streaming français dédiée à la diffusion des compétitions européennes et américaines, plateforme choisie à la discrétion de l’éditeur. En 2016, BamTech, filiale de la Major League Baseball, a obtenu pour 300 millions de dollars les droits exclusifs de diffusion en streaming – libre à ce dernier de monétiser les flux vidéo retransmis.

Courant 2017, Disney devient l’actionnaire majoritaire de BAM Tech et confie la diffusion des contenus à sa propre plateforme ESPN+, accord reconduit depuis cette date.

Droits d’auteur propres aux diffuseurs. Selon les moyens de production consacrés et les apports propres réalisés par le diffuseur, ce dernier pourra faire valoir ses propres droits d’auteur dans les conditions prévues par le Code de propriété intellectuelle.

Les contenus publiés et rediffusés sur internet ont la particularité d’être de manière quasi-contenu altéré ou transformé rendant l’identification des auteurs et titulaires des droits particulièrement complexes. Les productions impliquant le développement d’enseignes, noms de domaine, noms et pseudonymes des animateurs et diffuseurs sont également protégeables, leur dépôt en tant que marque constituant la première et meilleure garantie d’une tout utilisation ou parasitisme par des tiers.

Droits d’auteur des streamers. Reprenant les critères posés par le Code de la propriété intellectuelle imposant une création originale marquée par la personnalité de son auteur, les contenus créés par les streamers sur une compétition de jeu vidéo semblent éligibles à une protection autonome au titre du droit d’auteur.

À l’image de récits radiophonique ou commentaires sportifs, ces derniers, sous réserve de leur originalité, proposent des commentaires agrémentés d’éléments complémentaires de mise en scène pouvant intégrer des musiques, sons, bruitages, décors, déguisement, etc.

Écrit par :

Publié le : 08/02/2024
Mis à jour le : 13/05/2024

PX Chomiac de Sas