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2023.12 – Twitch & la nudité : les dangereux égarements de la plateforme

Article de PCS Avocat sur les politiques de modération des contenus à caractère sexuel sur Twitch

Twitch, la plateforme de streaming en direct, propriété d’Amazon, est depuis longtemps un espace réservé aux gamers, aux créateurs de contenu et aux diffuseurs passionnés.

En fin d’année 2023, la plateforme a pris le monde entier par surprise en annonçant un projet controversé : l’autorisation de la nudité sur sa plateforme. Incapable d’endiguer les abus liés à cette libéralisation, la plateforme s’est rétracté moins de 48 heures après.

Twitch : une plateforme de streaming historiquement dédiée au jeux vidéo

Lancée en juin 2007, la plateforme Twitch est historiquement baptisée Justin.tv comme une plateforme de streaming centrée sur la diffusion de contenus lifecasting & lifestyle 24h sur 24 et 7 jours sur 7. D’autres types de contenus se sont progressivement associés notamment de jeu vidéo.

En 2011, Twitch nait comme une division spécialisée dans le jeu vidéo en direct de la plateforme, permettant aux joueurs de diffuser leurs parties en temps réel et aux spectateurs d’interagir avec les diffuseurs via un chat en direct. Le succès de la plateforme aboutit à son rachat en 2014 par la plateforme Amazon pour 970 millions de dollars.

Diversification. Au fil des années, Twitch a évolué au-delà de sa vocation initiale axée sur le gaming pour inclure une variété de contenus tels que la musique, la cuisine, la créativité, les discussions en direct (Just chat).

Également, des formes déroutantes d’ASMR (Autonomous sensory meridian response) mettant en scène des influenceurs, majoritairement féminines, proposant des tenues légères et suggestives sur fond de bruits d’ambiance relaxants. Avec cette expansion de contenus, la plateforme a cherché à adapter ses règles et ses politiques pour refléter la diversité croissante de sa communauté.

Contenus critiques. Pendant plusieurs années et fort de sa notoriété, la plateforme Twitch a connu un fort intérêt pour de nombreux internautes souhaitant publier des contenus variés voire interdits sur d’autres plateformes. Libertariens de l’Internet, lobbyistes politiques extrémistes, créateurs de contenus pornographiques, violents investissent fréquemment les nouveaux réseaux sociaux pour diffuser leurs contenus le plus longtemps possible. Attaché à faire croitre sa communauté, la plateforme Twitch s’est révélée longtemps permissive quant aux contenus tolérés sans pour autant les autoriser officiellement.

Twitch : Modération & sanctions à géométrie variable

Hébergeur. Bénéficiant du statut d’hébergeur de contenus au sens de la loi pour La Confiance dans l’Economie Numérique, la plateforme Twitch ne procède que d’un contrôle a posteriori des contenus qui sont diffusés par les internautes.

Sous réserve de sa participation active à la lutte contre certains contenus – terrorisme, grand banditisme, propriété intellectuelle & pédopornographie et protection de l’ordre public – seule l’absence de réponse dans un délai raisonnable suite à la notification d’un contenu illicite peut entrainer la responsabilité de Twitch.

Dans ce contexte et afin de protéger sa neutralité, Twitch s’attache à minimiser sa modération et son contrôle afin de sauvegarder d’une part son statut légal protecteur et d’autre part le contentement de ses utilisateurs, prohibant de fait certains contenus – pornographiques, illicites – et proposant une gamme de sanctions pouvant aller d’une simple notification jusqu’à une suppression définitive de la chaine de l’influenceur.

Sanctions discrétionnaires. Le pouvoir de sanction des réseaux sociaux est au cœur de nombreuses polémiques, la vérification du respect des règles posées se faisant de manière discrétionnaire et souvent obscure sans que les internautes – utilisateurs ou influenceurs – ne puissent véritablement en maitriser les fondements.

Contrairement à un ordre judiciaire, les plateformes ne sont pas soumis au respect du contradictoire, la transmission et l’explication détaillée de leurs motivations ou encore l’offre de voies de recours aux personnes sanctionnées. En conséquence, les sanctions prononcées peuvent se révéler parfois injustes, déloyales et/ou disproportionnées.

Amouranth est une streameuse américaine suivie par plusieurs millions d’abonnés sur les réseaux sociaux dont Twitch pour des contenus liés à la danse, l’ASMR et le Hot Tub. Depuis 2016, cette dernière a connu plus de sept bannissements temporaires de la plateforme principalement pour des motifs de nudité illicite. Plusieurs spécialistes s’entendent sur la bienveillance des sanctions de Twitch du fait notamment de la grande notoriété de l’influenceuse.

Dr Disrespect, influenceur spécialiste du gaming, a été à l’inverse bani en 2020 perpétuellement de la plateforme sans précision ou déclaration de la plateforme – Affaire Dr Disrespect

Sans titre

Conditions générales obscures. Décriées depuis plusieurs années, les nombreuses règles édictées par les réseaux sociaux relatifs aux contenus autorisés ou interdits souffrent d’un manque cruel et volontaire de clarté. Les conditions générales d’utilisation, les chartes éthiques, codes de conduites et autres documents informatifs ou légaux des réseaux sociaux utilisent fréquemment des termes vagues et imprécis librement interprétables par les plateformes.

Ces critiques se retrouvent également dans la plupart des Contrat de Licence Utilisateur Final (CLUF ou EULA) des éditeurs de jeux vidéo.

En septembre 2022, YouTube a proposé des précisions sur les contenus admis ou interdits sans pour autant proposer un cadre clair des actions admises.  Les contenus à caractère sexuel et nudité dans les vidéos fictives ou scénarisées (contenus de séries TV, films, jeux vidéo), dans les contenus destinés à des fins pédagogiques, ne franchissant pas les limites du contenu sexuellement gratifiant,  feront l’objet d’un contrôle « moins strict »[1].

A l’inverse, les sons à caractère sexuels dans les contenus ASMR, l’utilisation de sex toys, la sexualisation non désirée ou des actes sexuels aussi bien dans les vidéos que sur les miniatures, avatars, bannières et posts seront supprimés et leurs créateurs sanctionnés.

Ces exemples révèlent en réalité la complexe tâche pour les éditeurs de proposer un équilibre entre les contenus publiés par les influenceurs et créateurs d’un coté et les abus perpétuels et qualification de contenus érotico-pornographiques.

Twitch & Féminisme : une difficile conciliation d’intérêts opposés

La régulation des contenus audiovisuels par Twitch a connu une difficulté particulière face à l’apparitions de contestations et critiques de la part d’associations et regroupements d’utilisateurs et internautes se revendiquant féministes.

De nombreux contenus de streameuses et influenceuses proposent des contenus mettant en avant leurs corps frôlant avec les règles liées aux contenus à caractère sexuel ou de nuditéASMR, jacuzzi gonflables, bikinis, etc. Dans ce contexte, de nombreuses associations de protection de l’enfance et associations des droits de la femme ont dénoncé le laxisme de Twitch permettant à tout public d’avoir accès à des contenus moralement répréhensibles trop souvent associables à des forme de pornographie ou d’érotisme.

Il est vrai que de nombreuses créateurs de contenus adultes utilisent les réseaux sociaux classiques à des fins promotionnelles de leurs contenus présents sur d’autres plateformes notamment OnlyFans & Mym. Les plus virulentes critiques condamnaient Twitch à s’enrichir en monétisant le corps des femmes à travers sa plateforme.

Dans un temps similaire, ces mêmes créatrices de contenus ont dénoncé le puritanisme de Twitch interdisant aux femmes créatrices de contenus de proposer les contenus qu’elles souhaitent diffuser librement. Sont également fréquemment dénoncés les règles plus strictes opposées aux femmes vis-à-vis des hommes notamment en terme de tenue et de nudité partiellement tolérée.

Fort des enjeux légaux liés notamment à la protection de l’enfance et en l’absence de solution générale applicable, Twitch s’est appliqué à proposer une meilleure catégorisation de ses contenus en créant notamment la catégorie « Pools, Hot Tubs & Beaches » au sein desquels sont désormais insérés l’ensemble des contenus déconseillés à un jeune public.

Pour autant, Twitch s’est toujours refusé d’autoriser des contenus à caractère sexuel au risque de devenir une plateforme de contenus pornographique dont les conséquences seraient catastrophiques en terme d’image, de partenariats commerciaux pour la plateforme et Amazon.

Twitch & contenus à caractère sexuel : Une autorisation devenue un enfer

Morgpie. Le 8 décembre 2023, « Morgpie » influenceuse et créatrice de contenus pornographiques en ligne a proposé via son compte Twitch un stream destinée à une collecte de fonds au profit de l’association « Médecins sans frontières », s’assurant de ne dévoiler que ses épaules et/ou la partie supérieure de sa poitrine. Dernier exemple des tentatives des utilisateurs d’éprouver ou comprendre le cadre imposé, cette diffusion a donné lieu à la sanction temporaire de Morgpie et de la révision des directives de la plateforme[2]

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Stream de Morgpie proposant une collecte au profit de « Medecins sans frontières »

Révision des contenus. Unifiant les politiques relatives au contenu à caractère sexuel, Twitch introduit un système d’ « Etiquettes de Classification de Contenus (CCL) » pour une meilleure information et transparence quant aux vidéos proposées. Sous réserve du bon étiquetage des vidéos, sont dorénavant admis les contenus mettant en valeurs les seins, fesses ou région pelvienne, les contenus fictifs exposant les parties du corps féminin dont les seins, organes génitaux et fesses, l’art corporel sur les seins et fesses de personnes ainsi que les danses érotiques (strip-tease, twerk, grinding, pole dance).

Angela Hession, responsable de la relation client chez Twitch, aurait ainsi commenté : « l’ancienne charte relative au contenu sexuellement suggestif ne correspondait plus aux normes du secteur et pénalisait disproportionnellement les vidéastes identifiées comme féminines »[3].

Cette autorisation n’aura duré que 24 heures, après des retombées catastrophiques des utilisateurs face aux explosions de contenus d’un nouveau genre.

« Meta Topless ». Profitant de l’assouplissement des restrictions concernant la « nudité artistique », plusieurs créatrices de contenus ont simulé une nudité complète usant de barres de censures pour couvrir les zones illicites sur leurs streams aboutissant à des pics de trafics considérables.

Amusement ou provocation, de nombreux utilisateurs ont manifesté leur mécontentement face à la diffusion de contenus pour adultes qualifiés de « pornographie softcore ». Par ailleurs, sur la base de la nudité artistique, la plateforme a été rapidement inondée de dessins à caractère sexuel violant pourtant les règles de la plateforme.

Twitch Most viewed streams on the Twitch art directory 14.12.2023
Twitch – Streams les plus consultés dans la section « Art & Création » le 14 décembre 2023

Véritable volte-face, Twitch, sans doute dépassé par ce contenu et après de nombreux bannissements, a présenté sa nouvelle politique le 15 décembre informant que désormais les représentations de nudité réelle ou fictive ne seront plus autorisées sur Twitch[4].

La décision souveraine de Twitch de révoquer sa propre réforme des contenus laisse à nouveau les streamers et Twitch lui-même dans une quête perpétuelle de trouver l’équilibre entre la liberté de création de contenus et la responsabilité des acteurs impliqués.

A coup d’expérimentations, au risque de sanctions de la plateforme, des guideslines de pratiques admises permettront progressivement d’identifier les comportements non pas admis mais du moins tolérés par Twitch jusqu’au prochain revirement de position.

Le mot de la fin. « Pis t’as eu ceux qui ont poussé le bouchon trop loin, des sortes de Don Juan du streaming qui ont flirté avec les limites. Twitch a dû sortir le balai pour les virer du tapis rouge. Là, c’était pas une question de droits, c’était comme virer un ivrogne qui fout le bordel dans un mariage. Fallait remettre de l’ordre ».


[1] Support Google de la plateforme YouTube, Modification de nos règles concernant la nudité et les contenus à caractère sexuel, 8.09.2022, https://support.google.com/youtube/thread/178443119/modification-de-nos-r%C3%A8gles-concernant-la-nudit%C3%A9-et-les-contenus-%C3%A0-caract%C3%A8re-sexuel?hl=fr

[2] Actustream, Twitch et le contenu sexuel : la mise à jour qui change tout 14.12.2023, https://actustream.fr/articles/Twitch-et-sexe-mise-a-jour-autorisant-nudite; Dextero, Twitch met à jour sa politique suite à la « meta topless », 14.12.2023, https://www.dexerto.fr/divertissement/twitch-politique-meta-topless-1529422/.

[3] C. Béchade, Twitch assouplit ses règles autour de la sexualité et de la nudité,  Clubic 14.12.2023, https://www.clubic.com/actualite-512404-twitch-assouplit-ses-regles-autour-de-la-sexualite-et-de-la-nudite.html.

[4] V. Beurnez, « Nous sommes allés trop loin » : Twitch fait machine arrière sur la nudité artistique, BFM TV, 15.12.2023, https://www.bfmtv.com/tech/actualites/streaming/nous-sommes-alles-trop-loin-twitch-fait-machine-arriere-sur-la-nudite-artistique_AV-202312150779.html.

Écrit par :

Publié le : 30/12/2023

PX Chomiac de Sas