L’industrie musicale s’est adaptée aux nouveaux modes de consommation, profondément marqués par les plateformes de contenus en ligne, les applications vidéo interactives étant devenus un nouveau média musical.
Ces dernières années ont vu les écoutes sur Spotify, Apple Music ou encore YouTube augmenter en masse tandis que la récente application TikTok a enregistré en 2019 plus d’un billion d’écoutes sur son service. Après Myspace, Facebook, Twitter, Snapchat et Instagram en leur temps, TikTok devient le réseau social privilégié de la dernière génération regroupant plus de 500 millions d’utilisateurs mensuels réguliers, passant en moyenne près d’une heure sur l’application.
Cette plateforme s’est rapidement démarqué des autres réseaux sociaux par le format court de ses contenus audiovisuels et son ergonomie pour la création de clips courts et professionnels. Est ainsi apparue une tendance à une très forte utilisation musicale pour la création de contenus, plaçant TikTok comme la première source de découverte de musiques devant YouTube.
Grâce à l’engouement des publics jeunes sur la plateforme, de nombreux artistes ont pu gagner une visibilité considérable leur permettant dans de nombreux cas de lancer une carrière musicale, profitant à tous économiquement.
Retrouvez notre dernier article consacré à l’application TikTok
Comment TikTok et ses utilisateurs gagnent de l’argent ?
Contrairement à d’autres réseaux sociaux focalisés sur la publicité comme source de revenus, TikTok a l’instar de Twitch favorise les dons des utilisateurs et partenariats directs conclus avec les créateurs pour leur assurer une source de monétisation des vidéos. Pour ce faire, TikTok utilise une monnaie virtuelle, les « Coins », permettant de réaliser des achats sur son application sur laquelle elle prélève des commissions.
Des cadeaux à offrir, des diamants à récolter sont autant d’outils permettant ultérieurement d’en changer la valeur virtuelle en dollars. Enfin, les influenceurs peuvent développer des produits et services propres, proposés à la vente par l’intermédiaire de TikTok, devenant dans ce cas une importante plateforme publicitaire.
La croissance et le chiffre d’affaire considérable de l’application chinoise 200 millions de dollars en 2019 dissimulent cependant des problématiques juridiques aux conséquences importantes notamment au regard de la protection du droit d’auteur des oeuvres diffusées.
Tiktok, un réseau social à base de vidéos musicales
Buzz musical. En matière de musique, TikTok a longtemps argué ne pas ètre une plateforme de consommation de contenus musicaux à l’image de Spotify, Deezer, etc.
Compte tenu de l’importance donnée aux vidéos musicales et sa place prépondérante dans l’écosystème artistique, TikTok est indéniablement aujourd’hui un acteur influant dans l’industrie musicale, au point d’encourager les maisons de disques et sociétés d’exploitation à adapter leurs modèles économique et marketing.
Certaines pratiques consistant à payer des influenceurs pour diffuser des contenus musicaux et toucher le plus grand nombre ont pu ètre ainsi constatées, frôlant dangereusement la qualification de publicité déguisée.
Son positionnement dans la sphère musicale est d’autant plus assumé depuis le lancement de sa plateforme de téléchargement Nesso dans la lutte actuelle avec les autres réseaux sociaux sur le secteur musical tel Lasso de Facebook, Teels d’Instagram, Shots de YouTube.
Licences & Contentieux. En l’absence de licence sur plus de 50% des musiques diffusées à travers ses vidéos, de nombreux labels et sociétés de protection des contenus musicaux ont également réclamé le versement de royalties de la part de TikTok, notamment la Recording Industry Association of America (RIAA), association qui regroupe la plupart des chanteurs, paroliers et labels américains dont Universal, Warner Music Group, Sony. Le format court des vidéos de TikTok ne suffit pas à l’application de se prévaloir des exceptions prévues par le Code de la propriété intellectuelle, notamment l’extrait et la courte citation.
C’est dans ce contexte que la plateforme Twitch a fait l’objet courant 2020 d’une vague de réclamations au titre de la violation du Digital Millennium Copyright Act – « DMCA » – pour les musiques présentes dans les contenus publiés, avec effet rétroactif. Premières victimes de l’arrèt de ces négociations, de nombreux streamers ont été sanctionnés pour non-respect des DMCA.
Sanctionné en 2016, Spotify avait à titre d’exemple dû régler une vingtaine de millions de dollars au titre de redevances impayées concernant les droits d’auteur. Depuis cette date, des pourparlers avec les principaux acteurs du secteur ont eu pour but d’encadrer l’exploitation musicale au sein des contenus publiés.
En France, la SACEM a récemment déclaré se rapprocher de TikTok pour définir les conditions d’utilisations de contenus musicaux. Aux Etats-Unis, des accords auraient été signés avec la firme et plusieurs sociétés d’exploitations d’Å“uvres musicales notamment Universal, Warner ou Merlin pour une exploitation légale au sein de la plateforme par ses utilisateurs.
Malgré ces efforts, des premiers contentieux à l’échelle mondiale apparaissent, tel une société vietnamienne ayant récemment ordonné à TikTok le retrait de l’ensemble des contenus intégrant des segments musicaux appartenant à sa société Zing Records ainsi que le versement de près de 10 millions de dollars de dommages et intérèts.
Influenceurs, créateurs : Droit d’auteur sur une création TikTok
Artistes, influenceurs et casters: Protégez vos créations numériques
Précautions & sanctions. En tant qu’hébergeur de contenus, TikTok met en place des politiques de contrôle et surveillance des contenus publiés au regard du droit d’auteur pouvant aboutir à des sanctions variées pour les uploader : suppression ou blocage de vidéos, suspension voire suppression de leur compte TikTok. Le risque de poursuites judiciaires de la part de TikTok et des ayants droit est d’autant plus important si la vidéo publiée connait un succès avec un nombre de vues massif.
La majorité des utilisateurs, y compris les influenceurs et casteurs professionnels, n’ont cependant pas vocation à délibérément violer le droit d’auteur dans leur contenu et préfèrent profiter d’une transparence et ergonomie des règles et fonctionnements des outils de contrôle utilisés par les plateformes.
Compte tenu de la quantité massive d’informations et de contenus audiovisuels publiés à chaque instant, la protection de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur impose l’implication directe des plateformes de partage en ligne.
De nombreux outils numériques, CMS ou Content Management System, ont ainsi été développés ces dernières années pour garantir la légalité des contenus diffusés, notamment pour les contenus musicaux et audiovisuels : l’empreinte (fingerprinting), l’analyse d’image, le hachage (hashing), le recours aux métadonnées, le tatouage numérique (watermarking), l’intelligence artificielle, etc.
Afin de favoriser la création au sein de sa plateforme TikTok a par ailleurs mis à la disposition de ses utilisateur une bibliothèque musicale à travers des contrats de licence et partenariats passés avec des artistes ravis de l’exposition potentielle de leurs oeuvres.
Propriété intellectuelle et chorégraphies. Compte tenu de l’importance des vidéos chorégraphiques sur TikTok, la question de la propriété intellectuelle des chorégraphies s’est posée. Le Code de la propriété intellectuelle rappelle, sous réserve du respect des conditions d’originalités et de personnalité de l’auteur sur l’oeuvre, de sa protection conformément à son article 111-1 al 1er.
L’article 112-2-2 al.4 admet les chorégraphies à la protection du droit d’auteur, ce dernier pouvant seul autoriser un tiers à exploiter ou diffuser sa création. Il lui revient également les prérogatives de droit moral, perpétuel, inaliénable et imprescriptible, comprenant notamment le respect de son nom, de sa qualité à travers un droit de divulgation, un droit de paternité, un droit au respect de l’intégrité de l’Å“uvre, et un droit de retrait et de repentir.
Aux Etats-Unis, le rejet d’un dépôt de chorégraphie a pu semer le doute. En effet, l’US Copyright a refusé l’enregistrement au titre du copyright une chorégraphie de danse baptisée « Carlton Dance » considérant cette dernière comme une simple routine gestuelle sans spécificités ou personnalité suffisamment développée.
Appliqué aux formats courts et succincts des contenus TikTok, il est probable que la majorité des chorégraphies réalisées et reproduites par la suite par des tiers ne respecte pas les critères posés par les législations nationales pour ètre admises à la protection du droit d’auteur.
TikTok, YouTube, Twitch : une future responsabilité renforcée pour protéger le droit d’auteur
A travers l’exemple de TikTok, c’est l’ensemble des plateformes de contenus dont le régime juridique a vocation à progressivement se tourner vers une responsabilité renforcée.
La législation applicable confirmée par la jurisprudence, a historiquement rejeté la responsabilité des plateformes de partage de contenus en ligne à l’occasion de la mise en ligne illégale d’oeuvres protégées par des utilisateurs. Légalement, les plateformes sont de simples fournisseurs d’installations et ne réalisant pas directement d’actes de communication, réalisés par les utilisateurs qui mettent en ligne le contenu et qui doivent en supporter la responsabilité.
Cependant, la récente directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique adoptée le 17 avril 2019 a remis en cause l’immunité des plateformes. Le fameux article 13, décrié par les influenceurs et devenu depuis l’article 17, impose aux plateformes d’obtenir désormais une autorisation des titulaires des droits de contenus publiés par des internautes, dès lors qu’ils effectuent « un acte de communication au public ou un acte de mise à disposition du public d’une oeuvre ou d’autres contenus protégés, téléversés par ses utilisateurs ».
Il appartient désormais aux plateformes de réaliser leurs « meilleurs efforts des plateformes pour garantir l’indisponibilité d’oeuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires ». Elles devront par ailleurs garantir aussi bien des mécanismes de règlement des plaintes pertinents notamment eu égard aux exceptions légales au droit d’auteur tel les courtes citations et parodies, caricatures et pastiches.
La nouvelle législation, dont l’application est reportée au plus tard au 7 juin 2021 encourage ainsi la conclusion d’accords entre les titulaires des droits et les plateformes. Il ne sera alors plus possible de laisser les utilisateurs des plateformes diffuser des contenus illégaux pour ne les retirer qu’une fois la demande formulée par les ayants droits.
A l’image du RGPD ayant bouleversé depuis 2018 les règles applicables en matière de collecte et traitement de données personnelles, l’article 17 de la directive européenne impose l’application et le respect, après la vie privée, de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur. Pour cela, il revient aux acteurs de garantir le respect et l’effectivité des droits dans le maintien de la fluidité des usages par les utilisateurs des réseaux sociaux et plateformes associées.