Propriété intellectuelle et droit d’auteur
Hyperliens et responsabilité. La force de l’internet dans notre société ne cesse de bousculer nos pratiques et les règles, parfois anciennes les encadrant. L’exemple de la responsabilité des auteurs de liens hypertextes sur Internet notamment au regard de la propriété intellectuelle est particulièrement éloquent.
En marge de certains débats doctrinaux et juridiques sur des points très précis – pour savoir si les liens hypertextes mettaient en Å“uvre le droit de représentation, de communication au public, peu de décisions sont venues encadrer ou préciser le régime juridique des liens hypertextes depuis les années 1990.
Pourtant, son encadrement juridique fait surgir une confrontation très forte entre deux droits bénéficiant d’une mème valeur dans la hiérarchie des normes : la liberté de « lier » à l’origine de l’internet, protégée par la liberté d’expression et le droit d’auteur, défendu par la propriété intellectuelle.
CJUE : Hyperliens et droit d’auteur
A compter de 2014, la Cour de Justice de l’Union Européenne a bousculé l’équilibre entre ces prérogatives en rendant quatre décisions notables réajustant les nouveaux critères de responsabilisation des auteurs d’hyperliens :
- 13 février 2014, Arrèt « Svenson », concernant des articles de presse librement accessible sur Internet et des liens hypertextes pour y accéder ;
- 21 octobre 2014, Ordonnance « Best waters » réitérant la position antérieure en matière de framing – transclusion ;
- 8 septembre 2016, Arrèt « GS Media », relatif à la mise en ligne de contenus de charme par des hyperliens sans le consentement des titulaires de droit.
- 26 avril 2017, Arrèt Filmspeler, sur la vente de lecteurs multimédias comprenant des hyperliens renvoyant vers des contenus contrefaits.
Dans ce contexte sont apparus de nouveaux critères jurisprudentiels visant à apprécier les différentes situations d’hyperliens renvoyant vers des contenus protégés parmi lesquels le rôle incontournable et délibéré de l’utilisateur, le nouveau public, le seuil de minimis, et le caractère lucratif.
L’utilisation de ces critères se traduit par des solutions particulièrement variées opposant parfois les juridictions nationales et communautaires, imposant aux titulaires de droits d’auteur d’user de nouveaux moyens de lutte contre la contrefaçon de leurs Å“uvres.
Hyperliens et droit d’auteur : Le critère du libre accès à l’oeuvre
Lorsqu’un titulaire met son oeuvre librement accessible sur Internet, les problématiques liées à ses prérogatives de droit d’auteur complexifient la responsabilité des auteurs d’hyperliens renvoyant vers ce contenu.
Si la Cour de cassation s’oppose par principe à toute licéité d’un tel procédé, l’arrèt Svensson de la CJUE a refusé la qualification de contrefaçon considérant qu’il y avait consentement du titulaire du droit pour qu’il soit librement accessible à l’ensemble des internautes, l’utilisation d’un lien hypertexte ne révélant pas de nouveau public.
Encore plus controversée, la situation similaire où l’auteur de l’hyperlien agit dans un but lucratif grâce à l’Å“uvre d’autrui – directe via les clients pour y avoir accès, ou indirecte par l’intermédiaire de publicité, laisse les titulaires de droits dans une impasse au regard du critère jurisprudentiel.
Ces problématiques sont particulièrement fortes en matière de presse où les études récentes montrent que 47% des internautes se contentent des petits résumés associés au lien hypertexte « snipets », sans cliquer sur l’article et donc se connecter au site de l’éditeur et générer des recettes publicitaires.
De nouveaux critères de bonne foi et de but lucratif
Par l’intermédiaire des critères de bonne foi et de but lucratif du lien hypertexte, les nouvelles décisions communautaires se heurtent aujourd’hui à la position historique des juridictions françaises. De fait, lorsqu’une oeuvre est librement accessible sur Internet sans le consentement des titulaires de droits, une distinction de régime existe entre la Cour de cassation et la CJUE.
En France, il est traditionnellement acquis que, faute de consentement du titulaire pour toucher le nouveau public des internautes, le critère de bonne foi et du caractère lucratif ne jouant pas, le diffuseur d’un lien hypertexte contrefaisant se verrait condamner. Par opposition, la CJUE appelle à un examen plus scrupuleux de la situation, usant du droit de la preuve.
De fait, sans but lucratif avéré, la Cour présumera que la personne en cause ne sait et ne peut savoir que l’oeuvre en cause est une contrefaçon et ne pourra le condamner, sauf à en rapporter la preuve contraire. Il reviendrait au titulaire des droits de notifier l’auteur du lien hypertexte de l’existence de cette contrefaçon, la cour transposant ici le régime classique applicable aux hébergeurs en matière de responsabilité en ligne.
La CJUE tempère son approche bienveillante en rappelant notamment que dans certains cas, la personne devait avoir une connaissance raisonnable du caractère contrefaisant, lorsqu’il s’agit par exemple de sites de téléchargement illégaux, connus et réputés – The Pirate Bay, Cpasbien, etc.
De fait, la position communautaire va imposer une modification du droit français, devant intégrant le critère de la bonne ou mauvaise foi de l’auteur de l’hyperlien, jusqu’à maintenant jamais admis par la Cour de cassation en matière civile de contrefaçon.
Il existe sur ce point un risque d’extension de ce critères aux autres domaines de la contrefaçon dépassant le simple cas du lien hypertexte pour toucher tout internet et toute la contrefaçon en ligne quel que soit son moyen de communication.
Critères d’identification de la contrefaçon
L’usage par la CJUE d’un critère relevant le but lucratif de l’auteur est tout aussi redoutable. En effet, la Cour présumera la connaissance de l’acte de contrefaçon vers lequel le lien hypertexte renvoie, entrainant la responsabilité de son auteur.
A nouveau, il s’agit d’une présomption simple, très difficile cette fois à renverser, dans la mesure où la personne concernée devra rapporter la preuve qu’elle ne savait pas la nature contrefaite de l’oeuvre renvoyée.
Une application de ce critère aux moteurs de recherche révèle des problématiques particulièrement inquiétantes. En effet, ces derniers se finançant par des liens commerciaux but lucratif indirecte, la Cour pourrait les considérer comme responsables en cas de liens vers des contenus contrefaits.
Il restera aux moteurs de recherche la possibilité de s’en défendre sur le terrain de leur statut d’intermédiaire technique et donc extérieur aux contenus publiés, consolidé par l’ignorance des contenus exposés, ces derniers n’étant classés que par une série d’algorithmes mathématiques.
L’injonction : un outil puissant en faveur du droit d’auteur
La position dominante actuelle se base sur le critère de libre accès du contenu en ligne – par abonnement, pour déterminer si l’utilisation d’un hyperlien outrepasse ou non la protection du droit d’auteur.
Sur ce point, les récentes pratiques ont révélé l’utilisation massive des injonctions afin de protéger le droit d’auteur, sur le fondement de l’article L336–2 du Code de la Propriété Intellectuelle. Ces actions permettent à tout titulaires de droits mais aussi les sociétés de gestion collective, de syndicats – non titulaires de droit, ou encore le CNC de demander de remédier à toute situation de contrefaçon par toute mesure appropriée.
De très nombreuses décisions usant d’injonctions de blocages sont ainsi utilisés pour lutter contre la contrefaçon d’une personne. C’est dans ces conditions que peut survenir une situation absurde dans la mesure où une personne non titulaire de droits peut rapidement bloquer l’offre licite d’un diffuseur ou les services de fournisseurs d’accès à Internet.