Propriété intellectuelle, CLUF (contrat de licence utilisateur final), dématérialisation des contenus, droits d’utilisation, émulateurs, roms sont autant de thématiques contemporaines juridiques associés au développement, exploitation et consommation de jeux vidéo.
Le samedi 25 janvier 2025, Me Pierre Xavier Chomiac de Sas a été convié dans l’Emission Focus Jeu Vidéo pour s’exprimer à l’occasion d’un épisode baptisé « Avez-vous bien lu les petites lignes ? », portant sur l’encadrement contractuel des jeux vidéo vis-à-vis des joueurs.
Merci à Patrice Baudhuin & Pipissenlit (AfroGameuses) pour ces échanges brillamment résumé : « Sonic & Tarte Tatin »
Retrouvez l’intégralité de l’évènement :
Focus jeux vidéo – Une initiative de la cité des sciences et de l’industrie
Pour décrypter et mieux comprendre le médium vidéoludique et ses enjeux, la Cité des Sciences a créé depuis plusieurs années une émission baptisée « Focus Jeux Vidéo » en partenariat avec l’association Afrogameuses destinée à présenter, informer et sensibiliser le public sur cette industrie, son impact culturel et social.
Associable à une forme de média de masse ou médium culturel majeur, l’émission aborde des thèmes variés, par des interviews d’experts et créateurs du secteur – développeurs, chercheurs, historiens, artistes.
Animé par François Giraud dans l’e-LAB, un journaliste et spécialiste des jeux, les discussions ont pu aborder des sujets tels la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, l’esport et les compétitions
Chaque épisode est retransmis en direct sur la chaîne YouTube de la Cité des sciences et de l’industrie et accessible en replay.
Contrats de jeu vidéo – Conditions générales de licence d’utilisateur
En l’absence d’un cadre légal spécifique, le droit jeu vidéo repose principalement sur des contrats encadrant les conditions d’accès et de consommation par les éditeurs . Bien que le Code général des impôts propose une définition du jeu vidéo comme un simple logiciel de loisir, aucune loi globale ne régit spécifiquement les droits de propriété liés aux jeux vidéo.
Contrats de jeu vidéo. Cette absence de qualification juridique claire est due à la diversité des formes que peut prendre un jeu vidéo. Par conséquent, c’est le droit des contrats qui détermine le régime applicable à leur propriété et à leur utilisation. Il est sur ce point marqué par des clauses contractuelles conférant aux éditeur le contrôle maximal sur l’accès et l’utilisation de leurs titres. Cette réalité contractuelle soulève des enjeux cruciaux en matière de transparence et de protection des consommateurs face aux pratiques commerciales des éditeurs.
Confusion entre achat et location. Il est à déplorer un amalgame de termes utilisés par les éditeurs dans les conditions générales créant une ambiguïté quant aux droits accordés aux joueurs. En effet, les offres commerciales présentent souvent l’acquisition d’objets virtuels ou de monnaies in-game comme des « achats », alors que les contrats mentionnent systématiquement des licences d’utilisation.
Fort de la participation importante des joueurs dans la mise à jour, le perfectionnement de l’expérience utilisateur et même la création de nouveaux contenus rattachés à un jeu vidéo notamment les Mods, les contrats des éditeurs encadrant la propriété de ces créations demeurent souvent problématiques ou limités.
Mods et contrats de jeu vidéo. Juridiquement, les créations de mod sont assimilables à des œuvres composites au sens du Code de la propriété intellectuelle. En exploitant tout ou partie des éléments du jeu vidéo d’origine, l’utilisation du mod est nécessairement soumise à l’autorisation du propriétaire des droits du jeu vidéo : l’éditeur. A défaut, les exploitants seront coupables de contrefaçon, sauf à ce que le jeu vidéo soit tombé dans le domaine public. Sous réserve de justifier de créations d’éléments originaux quant aux gameplay, scripts, graphismes, etc., les créateurs de mod pourraient bénéficier de la protection du droit d’auteur sur les seuls éléments extérieurs au jeu d’origine.
Prévus dans le développement même du jeu vidéo, les éditeurs encadrent de plus en plus strictement l’utilisation et l’exploitation de ces mods. Il est ainsi commun de trouver dans les Contrats de Licence d’Utilisateur Final (CLUF) plusieurs clauses prévoyant un contrôle général voire discrétionnaire des contenus générés par la communauté de joueurs, interdisant par exemple l’utilisation de contenus préexistants protégés par le droit d’auteur, l’intégration d’éléments illégaux, inappropriés, contraires aux bonnes mœurs, etc.

Droit et jeu vidéo : A qui appartiennent les jeux vidéo achetés sur Steam ?
Enjeu majeur associé au droit du jeu vidéo, la question de leur propriété a fait l’objet d’une lente évolution corrélée à la dématérialisation des achats et modes de consommations :
Épuisement des droits. Rattaché au principe juridique d’épuisement du droit de distribution, l’on considère traditionnellement que le titulaire du droit d’auteur d’un contenu artistique (livre, image, film, musique, jeu vidéo) perd le contrôle sur l’objet une fois vendu.
Toutefois, lorsque le bien en question ne dispose pas d’un support physique (disquette, cd, dvd, impression papier), il ne s’agit plus d’un « objet tangible » mais d’un service numérique, ce qui permet aux plateformes de restreindre la revente ou la distribution secondaire des fichiers ou licences d’utilisation.

Steam vs UFC Que Choisir : Interdiction de revendre un jeu vidéo sans support physique. Ces dernières années, les juridictions françaises ont été saisies indirectement de la question de la propriété des jeux vidéo à travers l’analyse des conditions générales (CLUF) de la plateforme de distribution de jeu vidéo Steam, propriété de l’éditeur Valve, contestée par l’association de protection des consommateurs « UFC Que Choisir ».
A travers plusieurs décisions portées jusqu’en cassation (Civ. 1ère, 23 oct. 2024), les juges ont finalement confirmé l’absence de transfert de propriété du jeu en cas de vente dématérialisée. Cette décision fait écho à la jurisprudence Cryo et confirme une position désormais claire sur le statut des jeux vidéo proposé à travers des plateformes de distribution dématérialisées tel Steam, Battlenet, Xbox Game Pass, Playstation Store, etc.
Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui avait déjà précisé que la mise à disposition de logiciels numériques (comme les jeux vidéo) ne relève pas du droit de distribution soumis à épuisement, sauf si ces produits sont régis par des directives spécifiques comme la directive 2009/24/CE (concernant les logiciels). Les jeux vidéo étant des œuvres complexes, elles ne relèvent pas de ce régime et sont donc régies par la directive 2001/29/CE, qui ne prévoit pas l’épuisement des droits pour les objets numériques.
En pratique, les joueurs ne sont propriétaires que d’une licence d’utilisation ne pouvant revendre tout titre de jeu vidéo, objet numérique ou monnaie virtuelle achetée.
Emulateurs & Roms : Peut-on (re)développer d’anciens jeux et anciennes consoles
A l’occasion des échanges, nous avons pu également traiter de la question des émulateurs et roms de jeux vidéo et leur légalité.
Souvent portés par une volonté de pouvoir rejouer à d’anciens jeux vidéo moins ou plus disponibles à la vente, de nombreux joueurs ont progressivement proposés des version redéveloppés de jeux vidéo. Ces pratiques posent des questions juridiques importantes, principalement en matière de propriété intellectuelle.
Quand bien même un jeu vidéo ne serait plus commercialisé, il demeure la propriété de son studio de développement, pour la durée de protection des droits de propriété intellectuelle. Toutefois, la reconstitution des consoles et/ou anciens jeux implique souvent pour les développeurs d’avoir eu accès aux Bios ou lignes de codes, protégés par des mesures techniques de protection.
Valable pour les jeux anciens comme modernes, le fait de contourner ces mesures pour générer des Roms ou Emulateurs peuvent constituer une adaptation non autorisée du logiciel et passibles de poursuites civiles et pénales.
Un exemple récent a opposé Nintendo et l’émulateur Yuzu, qui permettait de jouer à des jeux de la console Switch sur d’autres appareils. Le conflit s’est terminé par un accord transactionnel impliquant le paiement par Yuzu d’une somme de 2,4 millions de dollars à Nintendo, l’arrêt de la diffusion de ses logiciels et céder à Nintendo le nom de domaine associé à son service.

La sélection culturelle des spécialistes du jeu vidéo
Se prêtant avec joie à l’exercice de l’émission, le cabinet a mis en avant trois contenus culturels :
Calvin & Hobbes, comic strip culte créée par Bill Watterson, est une œuvre culte grâce à son mélange unique d’humour, de poésie et de réflexion. Les aventures de Calvin, un enfant à l’imagination débordante, et de Hobbes, son tigre en peluche qui prend vie à ses yeux, offrent des dialogues vifs et des situations à la fois drôles et profondes.
Legion, série de science-fiction américaine créé par Noah Hawley oscillant entre thriller, drame et expérimentation artistique s’est démarquée par une créativité et esthétique visuelle impressionnante. Il constitue en ce sens une pièce unique et à part dans l’univers saturé des adaptations cinématographique du Marvel Univers, dont il fait techniquement partie.
London Grammar, The Greatest Love. La voix pure et mémorable d’Hannah Reid posée sur des arrangements souvent expérimentaux très appréciables pour travailler au calme. Pour les amateurs de textes plus denses, Hugo TSR & son Coma Artificiel.


