PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

2022.04 – A qui appartiendrait l’oeuvre vidéoludique « Pixel War » ?

Reddit R/Place France Pixel War créations

Au sein de la plateforme Reddit, l’espace /r/Place a été le théâtre pour une deuxième année d’une expérience collaborative artistique hors du commun ayant mobilisé un nombre considérable d’utilisateurs et spectateurs : le Pixel War.


Pendant plusieurs jours, plusieurs dizaines de milliers d’internautes ont participé jour et nuit à la construction d’une œuvre éphémère suivi par plusieurs centaines de milliers de personnes.

Retrouvez l’intégralité des créations

Cet évènement est l’occasion de revenir sur les enjeux juridiques associés à cette expérience hors du commun.

En effet, la création d’une œuvre en groupe orchestré notamment par des communautés d’influenceurs de différentes nationalités soulève de nombreuse interrogations au regard du droit du numérique et de la propriété intellectuelle.

R/Place : une œuvre éphémère et collaborative en ligne

Conçu comme une expérience sociale par le développeur du jeu Wordle, Place est un projet collaboratif apparu en 2017 permettant à tout internaute inscrit de placer sur une toile virtuelle un unique pixel toutes les 5 à 20 minutes à travers une palette de couleurs.

Après des balbutiements manifestés par un placement aléatoire des pixels, le projet a progressivement des coordinations de groupes d’internautes permettant de la réalisation de drapeaux, figures historiques, œuvres d’art ou références audiovisuels, vidéoludiques ou culturelles variées.


A la fin de l’expérience le 3 avril 2017, la toile avait été réalisé par plus d’un million d’utilisateurs créant légalement une œuvre de collaboration, potentiellement éligible à une forme de protection au titre du droit d’auteur.

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Tableau des création au cours du premier évènement en 2017

Encadré par l’article L113-2 du Code de la propriété intellectuelle, une œuvre de collaboration réalisée par plusieurs personnes reposant sur un projet commun. Particularité en matière de propriété intellectuelle, l’œuvre de collaboration est la propriété commune de l’ensemble des coauteurs, devant exercer leurs droits d’un commun accord pour son exploitation.

Toutefois, le projet souffre d’une caractéristique particulière contraire au droit d’auteur : la possibilité pour un internaute de remplacer un pixel déjà placé.

Une telle capacité à détruire tout ou partie de l’œuvre en continu se heurterait aux droits moraux des auteurs notamment le droit au respect de l’œuvre.

En effet, l’auteur jouit du droit au respect de son œuvre le protégeant contre toute forme de dénaturation par ajout, retrait, mutilation ou retouche. Les décisions de justice françaises reconnaissent fréquemment la protection de l’auteur dans des cas où leur Å“uvre a été altéré par des tiers :

C’est notamment cette capacité à modifier la toile à tout moment par les internautes qui a pu apporter au cours de sa deuxième édition en avril 2022 une dimension compétitive.

Pixel War : une guerre d’influenceurs

Cinq ans plus tard, la deuxième édition a été marqué par une compétitivité nouvelle.   

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Rebaptisée la « Guerre des Pixels », le projet a connu un engagement particulièrement fort de plusieurs communautés d’internautes, coordonnées via les plateformes Twitch et Discord par des influenceurs de toutes nationalités. Parmi les streamers français particulièrement impliqués, l’on peut mentionner Kameto, Antoine Daniel, Squeezie, Domingo, Etoiles, Zerator ou encore Locklear.

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Opposant des groupes de streamers notamment français, espagnols et américains, les créations sur la toile virtuelle se sont transformées en guerre de territoires, créant et reconstituant en continue les réalisations faites. Sur les réseaux sociaux, un jargon militaire s’est institué évoquant des annexions, trèves, alliances, offensives, stratégies, etc. mobilisant les internautes de manière surprenante.

Les communautés françaises ont ainsi pu réaliser plusieurs créations notamment des reproductions du drapeau français, Zinedine Zidane, Thomas Pesquet, l’Arc de Triomphe, la tour Eiffel, la pyramide du Louvre, les Daft Punk, Jinx de la série animée Arcane, issue du jeu League of Legend), la souris de film d’animation « Ratatouille », la chaine Arte, la fusée ariane, un croissant.

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R/Place 2022 a ainsi constitué un évènement massivement divertissant, présenté et exploité par les différents YouTubers, Twitchers, streamers et de manière plus générique les influenceurs.

Professionnels ou amateurs diffusant des contenus publiés au sein de réseaux sociaux, ces personnes sont susceptibles de toucher des communautés d’internautes particulièrement importantes.

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Le Pixel War représente ainsi plusieurs centaines d’heures cumulées de contenus audiovisuels retransmis en direct ou diffusés sur les différentes plateformes pouvant représenter des revenus importants pour les influenceurs.

Pixel War : un logiciel détourné en jeu vidéo ?

L’efficacité française a pu soulever des critiques et interrogations quant aux règles officielles encadrant l’expérience notamment l’utilisation de scripts informatiques facilitant certaines créations.

La dimension ludique et compétitive générée à l’occasion de cette deuxième expérience, sa volonté d’encadrer les règles d’utilisation, pourraient conduire à requalifier R/Place non plus comme une œuvre mais peut ètre un jeu vidéo compétitif. A quelques pixels près d’une qualification d’esport.

Une telle qualification soulèverait dès lors la question de la propriété des créations au sein d’un jeu vidéo. Largement débattues pendant de nombreuses années, ces questions ont connu un bouleversement avec la célèbre affaire Dota, carte créé par des joueurs au sein d’un éditeur de carte du jeu Warcraft III et dont l’éditeur Blizzard n’a pu obtenir les droits exclusifs.

Prévus dans le développement mème du jeu vidéo, les éditeurs encadrent de plus en plus strictement l’utilisation et l’exploitation de créations de joueurs à partir de son titre.

Il est ainsi commun de trouver dans les conditions généralesCLUF un certain nombre de dispositions prévoyant un contrôle général voire discrétionnaire des contenus générés par la communauté de joueurs interdisant notamment par exemple l’utilisation de contenus préexistants protégés par le droit d’auteur, l’intégration d’éléments illégaux, inappropriés, contraires aux bonnes mœurs, etc.

Récemment sont également apparus des clauses transférant de manière automatique et immédiate tous les droits associés à une création réalisée par les joueurs ou à défaut la concession d’une licence d’exploitation dans les conditions les plus larges possibles.

Demeure la question : à qui appartiendrait l’œuvre vidéoludique « Pixel War » ?

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Publié le : 07/04/2022
Mis à jour le : 18/12/2023

PX Chomiac de Sas